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©Unsplash/Annie Spratt

Le mot de la semaine : Féminin

Publié dans La Tribune le 26 février 2019. Avec courage et talent, les femmes impulsent au management du XXIème siècle des qualités humaines (écoute, collaboratif, agilité) que partagent de plus en plus d’hommes dans un environnement où la mixité crée la valeur.

A les entendre, les ‘‘femmes qui ont réussi’’ dans l’entreprise ou en politique n’ont pas rencontré de problèmes particuliers. Elles avaient les compétences et ça a marché. Tout au plus, elles ont eu de la chance. Le harcèlement sexuel, les réflexions graveleuses, les humiliations, la paie toujours inférieure à celle des collègues masculins… Pfut, de l’eau sur les plumes d’un canard !

De fait, les femmes ont l’élégance de la modestie. « J’ai une grande fierté à faire dans l’ombre des choses qui servent à la société », témoigne Emmanuelle Perron, VP de NGE, un groupe de travaux publics de11 000 collaborateurs (dont 50 % sont actionnaires). « Notre entreprise familiale a toujours été au centre de notre vie. Parler de ses objectifs et de son quotidien, c’était parler de ceux de la famille », confie Elizabeth Ducottet, PDG de Thuasne, une belle ETI de 2 200 salariés. A 40 ans, elle partage son temps entre son métier d’orthophoniste et l’entreprise familiale. Quatre ans plus tard, son père fait un AVC. Elle est nommé présidente. Et suit en alternance un Executive MBA à HEC. « Mon mari et mes trois enfants ont eu la générosité de me laisser « inatteignable » pendant 18 mois ! » Rares sont les hommes qui tiennent un tel propos. La suite : en dix ans, elle multiplie par 2,5 le chiffre d’affaires du groupe à 225 millions d’euros de chiffre d’affaires), étend sa présence à 60 pays, représente les ETI au Conseil national de l’industrie (CNI) et siège au conseil général de la Banque de France.

« J’ai eu mes enfants très jeune. Je sortais de l’école, témoigne Sophie Fonlupt qui a passé une grande partie de sa carrière chez Colgate où elle a démarré au marketing international, pour passer à la direction d’un centre d’innovation et finir à la direction générale. « Cela a été simple. Lorsque ma carrière a accéléré, mes enfants étaient déjà grands. » Il est vrai que, dans les groupes internationaux qui vendent des produits grand public, le top management a saisi l’opportunité de confier à des femmes les postes à responsabilité car, forcément, elles sont plus en prise avec la réalité du quotidien. Elles sont donc plus proches des clientes.

Mais comment font les femmes pour réussir ? Émotivité, sensibilité, créativité, bienveillance, intuition, rigueur… sur quelles qualités féminines s’appuient-elles ? Les avis sont partagés. « Ces qualités réputées féminines se retrouvent aussi bien chez les femmes que chez les hommes », lance Michèle Sabban, présidente Europe du R20, le réseau mondial des plus grandes régions pour la transition écologique, et présidente du fonds R20 pour les femmes. « Les qualités féminines ne sont pas définies en management, estime Elizabeth Ducottet. La diversité des femmes est aussi intéressante que celle des hommes. Ni plus ni moins. » De son côté, Sylvie Perrin, associée au cabinet d’avocats De Gaulle Fleurance & Associés, défend davantage les valeurs des femmes : « Elles ont une meilleure écoute et se mettent moins en avant que les hommes, notamment dans le milieu des avocats où l’égo est très fort. Elles sont beaucoup plus collaboratives, elles partagent les informations, travaillent un peu gratuitement pour le collectif. »

Pour sa part, Sophie Fonlupt plaide pour trois qualités féminines : « Le courage, une grande exigence qu’elles s’appliquent d’abord à elles-mêmes avec une forte implication et un grand pragmatisme. Et, enfin, une intelligence des situations et des autres. Cela crée les bonnes équipes. » Le courage ? Une qualité qui peut démarrer très tôt. Comme l’illustre brillamment Greta Thunberg, la lycéenne suédoise de 16 ans qui incarne l’exigence mondiale des jeunes en faveur du climat devant les dirigeants de la planète à la COP 24 en Pologne. « Dans le management du XXIème siècle, l’agilité sera la qualité la plus demandée. Celle-ci se base sur le collaboratif et c’est avec l’addition des expériences qu’on génère de la valeur, reprend Sophie Fonlupt. Il faut donc savoir écouter puis décider vite et s’y tenir dans le temps. Une seule chose compte : la performance. » La Journée mondiale de la femme disparaîtra lorsqu’il sera naturel de voir autant de femmes que d’hommes à tous les échelons de l’entreprise et de la société.

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A lire : Pour vivre heureux, vivons égaux

Épidémiologistes et universitaires, les britanniques Kate Pickett et Richard Wilkinson ont mis les inégalités au cœur du débat public. Ils démontrent que les sociétés inégalitaires sont moins performantes que les sociétés égalitaires. Et ce, dans tous les domaines, de l’éducation jusqu’à l’espérance de vie. Dans leur dernier ouvrage Pour vivre heureux (Les Éditions Les Liens qui Libèrent), ils décortiquent l’impact des inégalités sur les individus. Ils montrent comment un faible statut social se corrèle à un haut niveau de stress. Ou comment les taux d’anxiété et de dépression sont directement liés au niveau des inégalités. Ils contestent l’idée selon laquelle les inégalités seraient le produit de différences « naturelles » de capacités entre les individus.

A voir : Marie Stuart, reine d’Écosse

Catholique, Marie Stuart a grandi en France. Mariée à l’âge de 16 ans au roi de France, François II, elle se retrouve veuve à 18 ans et refuse une seconde noce. De retour en Écosse en 1561, dont elle est reine, elle doit s’imposer auprès de son demi-frère James Stuart, comte de Moray qui, se retourne contre elle en menant la faction protestante, religion adoptée en Écosse un an avant le retour de sa souveraine. Incarnée par Saroirse Ronan, Marie Stuart représente une menace pour Élisabeth Ière (Margot Robbie), reine d’Angleterre qui veut étendre son influence à l’Écosse. Le film de Josie Rourke Marie Stuart, reine d’Écosse, donne à réfléchir sur le pouvoir, la trahison et la rivalité sans pitié qui se terminera par la décapitation en 1567 de Marie Stuart.

S’engager : Devenir famille d’accueil pour chiens guides

La Fédération française des associations de chiens guides d’aveugles nous invite à participer à l’éducation de ces fidèles compagnons. Il s’agit, pour les familles d’accueil, d’adopter momentanément un chiot tout droit sorti d’élevage, le nourrir, l’entourer d’amour et lui apprendre la propreté ainsi que les bonnes manières. A un an, il sera ensuite pris en charge dans la journée par une école de formation avant d’être remis gracieusement à une personne déficiente visuelle. Depuis plus de 45 ans que l’association existe, 5 000 chiens ont été ainsi remis à d’heureux destinataires. Soit environ 200 par an. Rappelons qu’il existe en France près de 2 millions de personnes déclarant une déficience visuelle. Or, pour l’heure, seuls 2 000 chiens guide sont en activité.

Les femmes seront-elles à la tête du management du XXIe siècle ?
Par Marion Genaivre, philosophe et co-fondatrice de l’agence de philosophie Thaé.

Organisation matricielle, entreprise « libérée », « opale » ou « apprenante », nouvelle conception du travail portée par des Millennial, autant de tendances ou modèles récents qui témoignent du fait que le management du siècle passé se voit remis en question dans ses principes. Lentement mais sûrement, l’exercice d’une autorité très hiérarchique et l’organisation du travail en silo sont un peu partout poussés vers la sortie par des volontés d’instaurer plus de transversalité. Tandis que la montée en puissance de la digitalisation intime de remettre plus que jamais l’humain au cœur du travail. Fortes des qualités qu’on leur attribue communément (empathie, humilité, capacité d’écoute et de dialogue, souci du long terme…), les femmes seront-elles les actrices majeures de cette révolution managériale du XXIème siècle ?

Oui mais la réponse doit se payer de finesse. D’abord parce que les théories du genre nous interpellent depuis la fin du XXème siècle sur le fait que les qualités prétendument reconnues aux femmes (et aux hommes) n’ont rien de naturel. Ce sont des différenciations sociales construites et entretenues par un système qui repose sur elles. Lorsque Simone de Beauvoir déclarait le célèbre « On ne naît pas femme, on le devient », elle voulait dire que le sexe ne détermine aucune qualité.

Ce que tendent à prouver les témoignages recueillis dans le cadre de la dernière étude de Grandes Ecoles au Féminin, qui portait spécifiquement sur l’exercice du pouvoir(*) : des codes dits « masculins » s’imposent aux hommes comme aux femmes mais, au-delà d’eux, l’exercice du pouvoir serait au fond une affaire de sensibilité personnelle. Tant et si bien que des femmes peuvent avoir un management plus autoritaire que leurs homologues masculins. Pour leur part, les Millennials concluant tranquillement : les dérives du pouvoir ne sont pas genrées.

Ce constat vaut-il conclusion ? Non, car on pourrait tout à fait rétorquer à Simone : ce n’est pas parce qu’une qualité ne doit rien à un sexe qu’elle est nécessairement construite ou idéologique. On peut tout à fait défendre l’idée que certaines qualités humaines (l’empathie, l’humilité, etc.) soient rassemblées sous le concept de « féminin » et d’autres (le sens pratique, la facilité à trancher…) sous celui de « masculin ». Cette distinction permet de penser un féminin en partie décorrélé des femmes. Autrement dit, il autorise à penser qu’un homme peut tout aussi naturellement manifester des qualités dites féminines, et une femme des qualités dites masculines.

Mais alors le féminin ne doit-il plus rien aux femmes ? Ou, pour le dire vite, si tous les hommes révélaient leur féminité, le management du XXIème siècle serait-il advenu ? Le débat reste ouvert, nous dirait Emmanuel Levinas. Ce philosophe, qui a fait du féminin l’autre nom de l’éthique dans l’existence humaine, ne croit pas à la possibilité de parler de quoi que ce soit « en général ». Il ose donc un lien entre le corps de la femme et l’idée éthique de l’accueil originaire à l’autre, à la différence : l’hospitalité s’incarne en quelque sorte anatomiquement dans le sexe de la femme en ce qu’il est à la fois intérieur, ouvert et fragile. Sur cette proposition, chacun peut se faire son idée. Mais à la question de savoir si les femmes seront à la tête du management du XXIème siècle, on peut répondre sans grand risque : oui, si elles ouvrent la voie du féminin à tous. (*) « Le pouvoir n’a pas de genre », étude menée en 2018

©Erick Haehnsen