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Blockchain : les grandes manoeuvres ont démarré

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Valérie Castay (AFT) :« La technologie de la chaîne de blocs est particulièrement pertinente dans le transport et la logistique (T&L). » © AFT

Passée l’effervescence de la découverte, la technologie de la chaîne de blocs n’est plus à la mode. Une phase normale dans l’évolution de toutes les technologies innovantes. Reste que certaines startups développent des produits de deuxième et troisième génération. Tandis que de grands acteurs passent à l’échelle industrielle.

Aussi disruptif que foudroyant, le succès du Bitcoin a propulsé au sommet des attentions la blockchain (chaîne de blocs). À savoir la technologie qui sous-tend les monnaies cryptographiques. Traçabilité, transfert de propriété, certification irréfutable des échanges au sein d’une communauté… en partageant son registre infalsifiable (Ledger), la chaîne de blocs construit la confiance grâce à un algorithme de consensus. Et ce, dans des environnements complexes où interviennent de multiples acteurs aux intérêts divergents : chargeurs, commissionnaires, transporteurs, logisticiens, distributeurs, douanes…. 

« Cette technologie est pertinente dans le transport et la logistique (T&L) car elle automatise au fil de l’eau la production de preuves et enregistre ces informations de manière irréfutable, explique Valérie Castay, directrice du département des études et des projets de l’Association pour le développement de la formation professionnelle dans le transport (AFT). Elle intéresse notamment les transporteurs qui doivent livrer une grande entreprise de distribution selon des créneaux horaires précis. Ils pourront ainsi prouver que leur retard est dû à la file d’attente à l’entrée de l’entrepôt. » 

Dans le gouffre de la désillusion pour certains

Avant la crise sanitaire, la blockchain apparaissait comme une révolution majeure dans le digital. Au même titre que l’intelligence artificielle. Après les phases de lancement puis d’attentes exagérées caractérisées par des ‘‘preuves de concept’’ (POC), cette technologie entre, selon la ‘‘courbe du Hype’’ théorisée par le cabinet d’analyse Gartner, dans la phase du ‘‘gouffre des désillusions’’ pour certains. 

« Nous avions travaillé sur le sujet il y a deux ou trois ans, à présent, nous sommes passés à d’autres sujets », confirme François Guitton, délégué à l’action professionnelle à la FNTR. « Malgré l’engouement initial de 2017, nous n’avons, pour l’instant, aucune application opérationnelle en blockchain », convient Jérôme Bour, PDG de DDS Logistics, un éditeur de solutions de solutions de gestion du transport (TMS), de sourcing import et d’une plateforme collaborative entre clients, transporteurs et fournisseurs. 

Pour d’autres, la chaîne de blocs remonte déjà la ‘‘pente de l’illumination’’. À savoir la quatrième phase d’évolution du Hype où les clients commencent à comprendre les véritables avantages économiques et concrets de la technologie. La dernière phase étant le ‘‘plateau de productivité’’ qui traduit l’adoption massive de la technologie par le marché avec des produits de troisième génération.

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Jérôme Bour (DDS Logistics) : « Malgré l’engouement initial de 2017, nous n’avons, pour l’instant, aucune application opérationnelle en blockchain. » © DDS Logistics
Le début des choses sérieuses

 

En témoigne la start-up marseillaise KeeeX, créée en 2014. « Avec notre procédé, les acteurs peuvent signer numériquement, horodater, géolocaliser et ancrer la preuve d’existence de leurs documents, données, processus et chaînes de décision sur la blockchain pour les certifier et les rendre vérifiables par tous : factures, lettres de voitures, certificats, photos… », précise Laurent Henocque, PDG fondateur de KeeeX dont la technologie brevetée par le CNRS combine cryptographie, signature électronique et blockchain pour équiper les fichiers et les données de preuves auto-portées et inviolables. Y compris les photos et les vidéos. 

 

À la demande du ministère des Transports, KeeeX (dix salariés) a participé à une expérimentation en 2018 et 2019 avec MGI, Voies navigables de France (VNF), la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et le Grand port de Marseille. Objectif : expérimenter en situation réelle la dématérialisation totale d’un flux logistique sur l’axe Marseille-Lyon dans une situation de trafic multi modal : route, rail, fluvial. « Le pilote a porté sur une quinzaine de conteneurs. Nous avons testé la réservation de transport de conteneurs (booking) avec les chargeurs Alteo (alumines) et Kem One (chimie du vinyle) ainsi que le commissionnaire de transport Transcausse », détaille Laurent Henocque qui dispose d’une application Web, d’une application mobile. Résultat : une meilleure synchronisation des acteurs et une meilleure gestion des ressources. 

 

Dans la foulée, la start-up marseillaise, qui cherche à se rapprocher des acteurs du TRM, a développé l’application mobile PhotoProof Pro qui recueille des preuves photographiques et vidéos. Un assureur s’en sert pour offrir ce service à des transporteurs routiers de marchandises. En cas d’accident, ceux-ci photographient les sinistres sur le véhicule et la marchandise. L’intérêt ? Économiser le coûteux déplacement d’un expert et accélérer le calcul des dommages à indemniser. « Les transporteurs prouvent ainsi l’état du camion, du conteneur et de la marchandise avant le transfert de propriété. Les photos sont horodatées, géolocalisées, signées numériquement et intègres », poursuit le PDG de KeeeX qui compte une dizaine de clients pour cette application. En cours, une collaboration avec CMA-CGM dans le cadre d’un POC. 

Avec PhotoPoof Pro, les transporteurs prouvent l’état du camion, du conteneur et de la marchandise avant le transfert de propriété. Les photos sont horodatées, géolocalisées, signées numériquement et intègres. © KeeeX

Responsabiliser les maillons de la chaîne logistique

Pour sa part, la start-up parisienne Ownest (20 salariés), créée en 2017, trace les responsabilités tout au long de la chaîne logistique. Du conteneur maritime jusqu’au magasin, y compris la gestion des retours de marchandise. Forte d’une application mobile et d’un tableau de bord en mode SaaS (Software as a Service), les acteurs d’une chaîne logistique consultent les transferts de propriété, les alertes, le suivi des stocks, les documents légaux… « Sur le terrain, nous instaurons en temps réel un consensus entre les différentes parties lors du transfert de propriété », décrit Thibault Glaunez, directeur produit et projet chez Ownest. Point fort, le transfert ne s’effectue que si les deux parties sont d’accord au même moment. Dans le cas inverse, la cause du litige est immédiatement remontée. De quoi responsabiliser chaque maillon de la chaîne logistique. 

Les gains sont multiples. « Le consensus élimine complètement la perte de produit car il y a toujours une personne en responsabilité », souligne Thibault Glaunez. Autre gain : le suivi des transferts en responsabilité accroît de 6 % la capacité d’un produit en logistique inverse. La start-up tire ses statistiques de trois clients. À commencer par la traçabilité des palettes locatives (LPR, Chep, IPP) et des palettes chez Metro dans une dizaine d’entrepôts depuis un an. À la SNCF, elle gère la traçabilité d’appareils de voirie sur deux sites dans le but de réduire la non-conformité et d’optimiser la gestion de stock. Chez Cdiscount, sa solution trace des colis de plus de 30 kg entre les entrepôts, les transporteurs et les points relais.

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Avec l’application Ownest basée sur la blockchain, le transfert de propriété ne s’effectue que si les deux parties sont d’accord au même moment. Ici, chez Cdiscount. © Ownest

Industrialiser une douzaine de processus métiers complexes

En pleine phase cinq de la courbe du Hype du Gartner, DHL phosphore depuis 2017 sur la blockchain. « Pour construire une blockchain, il faut un réseau et un écosystème dans lequel les acteurs échangent de l’information en toute sécurité et transparence, confie Bejoy Jacob, vice-président de DHL en charge du centre d’excellence Blockchain du groupe Deutsche Post DHL. Certaines informations sont partagées entre toutes les parties, comme les données de transport, de douane, de mode de transport… Tandis que d’autres, comme les prix et les taux, ne s’échangent qu’entre certains acteurs définis. » Sur cette base, DHL forge en 2019 sa propre blockchain BLESS (Base-line Eco System Service) qui interagit avec différents protocoles de blockchain comme Corda, Ethereum ou Hyperledger Fabric. « C’est un moyen pour inviter tous les acteurs d’une chaîne logistique à l’heure où de nombreux industriels ont créé leur propre blockchain », reprend Bejoy Jacob.

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Bejoy Jacob (DHL) : « Certaines informations sont partagées dans notre blockchain entre toutes les parties et d’autres pas. Tandis que d’autres ne s’échangent qu’entre certains acteurs définis. » © Deutsche Post DHL

 Aujourd’hui, DHL industrialise une douzaine de processus blockchain dans ses opérations auprès d’une quinzaine de clients et de leur réseau dans les secteurs de l’automobile, de la santé, des technologies : dédouanement, tracking des expéditions, réconciliation financière, réservation électronique…

Et de lancer des services de troisième, voire de quatrième génération avec notamment ‘‘Custom Clearance on Air’’, un dédouanement à bord de l’avion, avant l’atterrissage. Ainsi que ‘‘Duty Drawback’’, le remboursement des frais douaniers d’importation en e-commerce lorsque le consommateur retourne son produit. Une chose est sûre : les grandes manœuvres de la blockchain ont démarré et on n’a encore rien vu.

 © Eliane Kan et Erick Haehnsen – Article publié dans l’Officiel des Transporteurs