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Drones : le ciel de la livraison urbaine s’éclaircit

Amazon recours au drone MK30 de Dronelife, réputé plus silencieux et plus fiable que la génération précédente. © Amazon
Article publié dans L'Officiel des Transporteurs - Le 10 juillet 2024

Avec de beaux succès, mais aussi des remises en cause, la filière drone se structure et prend de la maturité dans les zones peu denses. En adoptant une architecture d’aérostat à l’hélium, ils peuvent s’ouvrir davantage à la livraison urbaine et interurbaine.

Décarbonation de la livraison des marchandises, meilleure accessibilité aux zones isolées, amélioration de l’efficacité logistique… la livraison par drone cumule les avantages. Cependant, la réglementation la rend quasiment impossible en zone urbaine. En effet, elle suscite parfois des réticences parmi les populations qui se plaignent le risque d’intrusion et de chutes d’objets. Enfin, malgré d’importants efforts en R&D, l’offre de drones s’approche du niveau industriel nécessaire aux opérateurs mais pas toujours à un prix acceptable par le marché. Reste que la filière se structure autour de quelques succès. 

Des succès et des remises en cause

Côté succès, les fabricants américains  Wing et Zipline assurent depuis janvier 2024 la livraison par drone à 75 % de la population de Dallas-Fort Worth (DFW) au Texas pour le distributeur américain Walmart, soit une « livraison sept fois plus rapide, sans émissions et silencieuse », estime Keller Rinaudo Cliffton, PDG de Zipline. Pour sa part, le californien Wing «  a déjà réalisé plus de 350 000 livraisons aux États-Unis, en Australie et en Europe », indique Pia Doering, son porte-parole. A cheval entre l’avion et l’hélicoptère, son drone pour livraison légère (1 kg), mesure 1,3 de long et 1,5 m d’envergure pour un poids de 5 kg. A une vitesse maximale de 100 km/h, il transporte une charge de 1 kg pour des allers-retours jusqu’à 20 km. 

Côté échecs, DHL a cessé, pour des raisons tant opérationnelles que réglementaires, les activités de son service Parcelcopter de livraison de colis par drone en 2018 au bout de cinq ans d’essais en Allemagne et en Tanzanie. En partenariat avec le spécialiste des drones cargo Dronamics, l’expressiste se concentre désormais sur les livraisons aériennes de « middle-mile » des missions transfrontalières et interurbaines en moyennes distances en Europe et dans la région Asie-Pacifique. Ses Black Swan sont capables de transporter des charges de 350 kg jusqu’à 2 500 km. 

Quant à Amazon, il a mis fin en avril dernier à l’expérimentation de son service Prime Air à Lockeford, en Californie après dix ans de tests. En revanche, le géant du e-commerce poursuit son service quotidien de livraisons aériennes de colis jusqu’à 2,27 kg en moins d’une heure dans les zones peu habitées de College Station (Texas). Ambition : livrer d’ici la fin de la décennie 5 millions de colis par an aux Etat-Unis. En attendant, D’ici là, fort de l’autorisation de la Federal Aviation Administration (FAA) obtenue en mai dernier pour les vols BVLOS (Beyond Visual Line of Sight), Amazon entend déployer d’ici fin 2024 ce service à Tolleson près de Phoenix (Arizona) ainsi qu’en Italie et au Royaume-Uni avec le nouveau drone MK30 de Dronelife, réputé plus silencieux et plus fiable.

En France, La Poste co-développe-t-elle avec le fabricant et opérateur de drones Atechsys depuis 2014 un système de drone qui en est à sa troisième génération. « L’idée, c’est de voir comment les drones peuvent être utiles à notre métier », précise Philippe Cassan, directeur des programme drones à La Poste. Le système de drone est intégré à la camionnette du livreur qui le déploie, le charge, l’envoie livrer son colis puis le récupère. 100 % automatique bien que supervisé à distance par un opérateur d’Atechsys, le vol ne dure que 8 minutes contre 40 minutes avec la camionnette en montagne.

Outre le drone, la Poste et Atechsys ont également conçu et réalisé des terminaux pour sécuriser le décollage et l’atterrissage des drones ainsi que les opérations de chargement et de déchargement des colis. « Leur fonctionnement est automatisé afin d’éliminer tout besoin d’interagir avec le drone pour des raison de sécurité », reprend Philippe Cassan qui a ouvert trois lignes de desserte en point à point (non en tournées), la première en 2016 dans le Var puis les deux autres dans le Vercors en 2019 et en 2024. Soit six drones qui ont effectué 2 400 vols pour 41 000 km. « Nous en sommes toujours au stade de l’expérimentation mais nous livrons de vrais colis à de vrais clients, résume Philippe Cassan. Nous avons besoin d’accéder à un outil industriel suffisamment robuste et fiable pour confier les colis et le courrier à des opérateurs qui proposent des coûts accessibles. »

En Europe, où la réglementation est plus avancée qu’aux États-Unis, « le frein réside dans la capacité des industriels à produire des drones au bon niveau d’intégrité. Ce qui rend l’équation économique difficile à résoudre. Notamment en ville où le marché voudrait que la livraison ne coûte que quelques centimes tandis que la machine coûterait plusieurs millions d’euros », soulève Mustafa Kasbari, PDG d’Atechsys, fabricant et opérateur de drones créé en 2007 à Pourrières (83) qui réalise un chiffre d’affaires 2023 de 2 millions d’euros avec dix-huit salariés.  

A moins de changer de paradigme en matière d’architecture de drone. A l’instar de la multi-primée start-up Celeste Airships, créée en février 2023 et basée à Sainte-Ménéhould (51). De la taille d’un petit avion (8,24 m de long et 8,1 m d’envergure), son AS10 combine les avantages d’une aile volante et d’un dirigeable gonflé à l’hélium, un gaz neutre très répandu. « En cumulant la sustentation de l’hélium (flottaison) et la portance aérodynamique de l’aile, l’autonomie de la batterie, qui ne dure que 50 minutes avec un drone classique, atteint 6 heures et de 300 km à la vitesse maximale de 35 km/h, explique Olivier Manette, fondateur et PDG de Celeste Airships qui espère procéder à des démonstration durant le dernier trimestre 2024. En cas de problème moteur, l’appareil est configuré pour se mettre en vitesse minimale (7 km/h) et retourner à la base. L’impact éventuel avec des personnes ou des biens est alors très faible. »

Dotée d’un appareil industriel, la société ANSE, créée en 2010 et basée à La Ciotat (13), est spécialiste des ballons dirigeables pilotés à l’hélium « t des ballons stratosphériques. Fort’e de cette expérience, ANSE conçoit, sous la marque Elium, un dirigeable eVTOL de 16 m de long et 15 m d’envergure pour un volume de 400 m³ d’hélium. « Selon les versions, l’aérostat sera capable d’embarquer une charge de 80 kg à 450 kg pour un transport péri-urbain ou interurbain allant jusqu’à 250 km, dévoile Baptiste Régas, PDG d’ANSE qui a déjà levé 2 millions d’euros pour ce projet et s’apprête à faire un tour de table à 10 millions. Nos expérimentations auprès de grands transporteurs-logisticiens sont prévues pour cette année. » En projet, une usine qui aura une capacité d’une machine par mois en 2026-2027. Avec nos capacités actuelles : une machine par trimestre. 

© Erick Haehnsen / Agence TCA

Réglementations

Adoptée le 29 novembre 2022, la réglementation européenne « Drone Strategy 2.0 » installe un cadre politique et juridique général pour faciliter le développement du marché des drones, incluant les drones civils, les taxis volants (eVTOL) ainsi que les technologies duales pour applications civiles et militaires. Objectif : développer un écosystème durable de drones intelligents en Europe d’ici 2030. 

Auparavant, la Commission européenne a adopté plusieurs règlements en avril 2021 concernant l’espace aérien dédié aux drones et aux eVTOL, l’U-space, dont le Règlement d’exécution (UE) 2021/664 en fixe les exigences techniques et opérationnelles. « Ce règlement explique comment automatiser l’accès à l’U-space, éclaire Mustafa Kasbari, PDG d’Atechsys, fabricant et opérateur de drones créé en 2007 à Pourrières (83) qui réalise un chiffre d’affaires 2023 de 2 millions d’euros avec dix-huit salariés. Le texte établit les conditions pour que les drones et les aéronefs habités coexistent en toute sécurité dans l’espace aérien européen. » 

Pour sa part, le Règlement d’exécution (UE) 2021/665 modifie les règles pour les fournisseurs de services de navigation aérienne, introduisant des procédures de coordination spécifiques entre les unités de service de trafic aérien, les fournisseurs de services U-space et les opérateurs de drones. 

Entrée en vigueur le 26 janvier 2023, la réglementation européenne « U-space » fournit désormais un cadre réglementaire complet visant à gérer le trafic des drones dans un espace aérien dédié. C’est une étape majeure pour autoriser et développer des opérations de drones complexes à grande échelle dans l’espace aérien européen.  

© Erick Haehnsen / Agence TCA