Avec une fin 2023 atone et un début 2024 également assez plat, le transport de vrac par benne et citerne envisage un durcissement de la conjoncture pour 2025. Une crainte : les clients risquent de manquer de capacité de transport.
Malgré une baisse de 12,4 % du prix du gazole sur un an à fin août 2024 (contre une hausse de 10 % pour le GNL et le GNC) selon une étude du Comité national routier (CNR) parue en septembre dernier, le secteur du transport routier de marchandises (TRM) subit une augmentation de ses coûts de 5 % à 6 %. Soit plus du double de l’inflation générale qui était de 1,9 % en août 2024. Avec une croissance du PIB attendue à 1 % pour l’année, l’économie française stagne.
Les conséquences de cette conjoncture globale s’amplifient dans le secteur du transport routier par benne et citerne. Selon France Benne, le premier réseau d’experts en solutions de logistique vrac avec une centaine de PME indépendantes, le secteur voit son chiffre d’affaires global fondre de 909 millions d’euros en 2022 à 799 millions en 2023, soit une baisse de 12 % pour 700 000 tonnes transportées. Mécaniquement, les effectifs passent de 5 500 à 5 000 salariés sur la période. Paradoxalement, le nombre de tracteurs augmente de 4 150 à 4 500 pour 2 000 bennes, 1 000 fonds mouvants et 900 citernes.
Des clients en perte de vitesse
« L’activité de 2023 a connu un début soutenu mais un fléchissement en fin d’année, estime Patrice Fontan, PDG des Transports éponymes et président du groupement France Benne dont la coopérative a vu son chiffre d’affaires passer de 15,6 millions d’euros en 2021 à 22 millions en 2023 – soit une augmentation de 40 % en trois ans – pour retomber à 18 millions attendus en 2024. Après une croissance moyenne de 10 % à 20 % sur trois ans pour bon nombre d’entreprises du groupement, la morosité de fin 2023 s’est poursuivie en 2024. Nous ne perdons pas de clients à proprement parler mais ceux-ci subissent une baisse des volumes d’activité, des périodes de chômage technique et des arrêts d’activité. Notamment dans le BTP et dans l’agriculture qui a connu une très mauvaise saison en raison d’une météo défavorable tandis que le secteur du recyclage se révèle moins impacté. »
Pour sa part, le groupe Ramette, qui a vu son chiffre d’affaires 2023 progresser de 5 % à 25 millions d’euros, enregistre cette année un mouvement inverse. « Pour 2024, nous prévoyons une baisse de 8 % des ventes pour la société Ramette (bennes longue distance) ainsi qu’une baisse de 4 % pour Lafillé Transport (citernes et pulvérulents) tandis que Drancourt Transport (bennes céréalières courtes distances) connaît une augmentation de 4 % de ses ventes. », détaille Didier Ramette, PDG du groupe Ramette, basé à Merville (59) qui, en incluant Ramette Logistique (entrepôts), cumule 150 salariés, soit quinze de moins que l’année dernière.
Des difficultés de recrutement persistantes
Outre la conjoncture économique, le groupe Ramette a perdu deux exploitants. « L’un est parti vivre en Australie, l’autre a voulu changer d’orientation après 20 dans le transport », explique Didier Ramette. Devant cette situation et la difficulté de recrutement sur ces postes, il a été décidé de réduire le parc de 70 à 62 véhicules sur Ramette. « Ajoutons que certains conducteurs on fait valoir leurs droits à la retraite », poursuit le patron du groupe Ramette qui déplore : « Il y a un baisse d’activité mais la difficulté à recruter reste entière. Quant au niveau de formation des nouvelles recrues, il est largement insuffisant. Ces tendances augurent que le retour à la normale sera difficile. Je pense que nos clients vont manquer de capacité de transport lorsque l’économie reprendra un rythme normal. »
Pourtant, Didier Ramette avait pris le pli de déposer ses offres d’emploi sur la plateforme H2P, Le Transport recrute. « Jusqu’ici cela marchait bien. Ce n’est plus aussi vrai. Les bons conducteurs restent très difficiles à recruter, constate le PDG du groupe Ramette qui vient d’adhérer au GIEC H2F, créé en 2023 dans les Hauts-de-France pour proposer un niveau de formation adapté aux besoins de la profession. Il faut attendre la fin de la formation pour connaître le niveau qu’atteignent les élèves. »
Vague de rachats d’entreprise
Face à la hausse des coûts d’exploitation et de la baisse des revenus, la trésorerie se tend dans une majorité des entreprises. « En effet, la masse salariale a bondi de 18 % entre le début 2022 et la fin 2023. De plus, il a fallu payer la moitié de notre parc 30 % plus cher qu’il y a trois ans, rappelle Patrice Fontan. Nous devons nous préparer à des rachats d’entreprise par découragement ou obligation. » Résultat, le mouvement de concentration poursuit sa course. Ainsi, après avoir acquis en 2023 les groupes familiaux Transports Charrier (58) et Boudet (18) ainsi qu’EF Bennes (58), le groupe Rousseau (58) met la main en septembre dernier sur Van de Walle (36) qui réalise un chiffre d’affaires de 30 millions d’euros, emploie 210 collaborateurs et exploite180 et 550 cartes grises ainsi que 65 000 m² d’entrepôts. En février, c’était au tour de MGE (88) de reprendre les activités des Transports Detree (02). Citons aussi JL Transport qui, après avoir repris TMF (58) en février dernier, a acquis en août Lagarde et Fils (58), spécialiste du transport de vrac en benne céréalière et en FMA.
Perspectives pessimistes pour 2024-2025
Sur fond de rigueur budgétaire avec un gouvernement qui a pour mission de trouver 60 milliards d’euros d’économies, le secteur se perd en conjectures. « Il est très difficile d’y voir clair. Il faudra soit revaloriser les tarifs mais certaines entreprises n’y arriveront pas ; soit procéder à des choix difficiles comme arrêter de travailler avec les clients qui ne sont pas assez rentables ; soit encore revendre du matériel devenu sur-capacitaire, reconnaît Patrice Fontan. Notre groupement, et c’est tout son intérêt, se bat pour défendre nos marchés et nos tarifs. A cet égard, nous avons embauché un troisième commercial depuis janvier. » Une chose est sûre : la concurrence s’annonce féroce. « Certains spécialistes du vrac se reporteront sur d’autres créneaux de marché et inversement. Il faudra réagir. Notamment disposer des ressources humaines adéquates pour se développer », prévoit Didier Ramette qui, après avoir mis en place une solution de Combiné Rail-Route en 2022 entre les Hauts-de-France et la région PACA vient de démarrer une activité de transport de conteneurs sur châssis bennant pour la ferraille et les déchets au départ de Dunkerque.
© Erick Haehnsen / Agence TCA