Publié dans LesEchos.fr. Depuis six ans, le World Materials Forum (WMF) se déroule dans la capitale lorraine. Il rassemble des capitaines d’industrie, startuppers et scientifiques venant du monde entier dans l’intention de découpler croissance économique et consommation des ressources naturelles. Revue de détails.
Dans l’opinion publique, augmenter l’activité économique signifie forcément consommer davantage de ressources naturelles. « Nous pensons exactement le contraire, s’insurge Victoire de Margerie, fondatrice et vice-présidente du World Materials Forum (WMF), dont la sixième édition s’est déroulée en août dernier à Nancy. Il est tout à fait possible de découpler croissance économique et consommation de ressources, tout en créant de la valeur pour les acteurs économiques. » Le WMF présente tous les ans depuis 2015 des solutions pratiques. Et, pour la première fois en 2020, une sélection de dix technologies susceptibles d’être mises en œuvre dans les dix années à venir afin d’accélérer et solidifier ce découplage.
Récupérer des monomères purs à partir des plastiques
À commencer par les plastiques. Durant les six derniers mois, Le WMF a interrogé 30 grands décideurs mondiaux des matériaux, fabricants et utilisateurs de métaux et polymères afin d’évaluer avec eux les impacts positifs potentiels. Par exemple en 2018, les industriels ont produit 360 millions de tonnes plastiques dans le monde. « Si dans dix ans la technologie et les capacités de recyclage installées permettent d’incorporer 30 % de produits recyclés comme matières premières dans la fabrication de nouveaux plastiques, on aura réduit la fabrication de monomères de plus de 100 millions de tonnes au niveau mondial », reprend Victoire de Margerie. Traduction : à partir des plastiques, on sait récupérer les monomères purs qui les constituent avec la même qualité qu’à leur état initial. À condition que la grande distribution, les industriels et les collectivités locales travaillent de concert pour collecter tous les déchets plastiques, comme en appelle de ses vœux Jean Hornain, président de Citeo, l’opérateur national français de tri et de recyclage des emballages ménagers.
Recycler 90 % du cobalt et 70 % du lithium des batteries en 2040
Autres technologies d’avenir, celles du recyclage des batteries électriques. « La durée d’exploitation d’un avion est de 30 à 40 ans. En fin de vie, on en recycle 90 %. Par ailleurs, 10 kg de matières premières suffisent pour obtenir « 1 kg d’avion », souligne la vice-présidente du WMF, lequel est présidé par Philippe Varin, président de France industrie. En revanche, un téléphone portable ne dure que 18 à 24 mois et on n’en recycle que 3 %. Or, pour « 1 kg de téléphone », il faut 170 kg de matières premières. Les fabricants de produits électroniques ont beaucoup travaillé pour réduire le poids de leurs produits. En revanche, il sont en retard dans leurs démarches de recyclage. »
Lithium, cobalt, manganèse, nickel… Les batteries consomment pourtant des métaux assez rares. « Rien n’est moins sûr que l’on en dispose à l’avenir autant que nécessaire, prévient Victoire de Margerie. Du coup, si l’on instaure les processus de collecte et de recyclage idoines, les besoins en extraction minière se réduiront. » Une approche soutenue par des exploitants de mines. « En 2030, 80 % des batteries usagées devraient être recyclés d’ici 2030. L’intégralité des matériaux ainsi obtenus devra être réutilisée pour fabriquer de nouvelles batteries. En 2040, ce processus devrait couvrir la majorité des besoins », explique Shigeru Oi, président de JX NMM, producteur japonais de métaux non-ferreux qui vise à industrialiser sa technologie en 2030 lorsque les volumes à traiter seront significatifs. Autrement dit, en 2040, il pourrait recycler 90 % du cobalt et du nickel et 70 % du lithium contenus dans les batteries. Des perspectives qui justifient pourquoi Peter Carlsson, PDG du suédois Northvolt, veut lever 150 à 200 millions d’euros pour démarrer son usine de recyclage des batteries en 2022 avec son propre procédé hydro-métallurgique.
L’œil rivé sur l’horizon, le WMF inclut aussi dans ses 10 technologies d’avenir les prochaines générations de batteries. En commençant par l’amélioration continue des batteries lithium-ion. Plus compactes, moins lourdes, elles devraient utiliser moins de lithium et de cobalt et se recharger plus vite. Viennent ensuite les batteries Solid State à électrolyte ininflammable. Plus futuriste, la start-up Zeta cherche à remplacer la chimie nickel-cobalt à la cathode par le couple soufre-carbone, bien plus abondant sur Terre. En parallèle, le WMF phosphore sur l’électronique de Spin qui veut réorganiser, au niveau nanométrique, la circulation des particules afin de réduire leur frottement et, donc, la consommation énergétique des serveurs. « On pourrait diviser par 50 la consommation du stockage des données informatiques », estime Victoire de Margerie. Aux limites de la physique quantique, ce thème de recherche mobilise les cerveaux parmi les plus brillants de la planète.
© Erick Haehnsen