Face aux réglementations anti-CO2, le GNV fait de la résistance avec près de 200 stations, talonné par le bioGNV tandis que certains biocarburants cherchent à passer de Crit’Air 2 à Crit’Air 1. Quant au véhicule électrique, son autonomie augment et son coût total de possession se rapproche de celui du diesel.
L’avenir des fournisseurs de gazole pour poids lourds est menacé. À moins de changer radicalement. Dans cet objectif, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) impose en France au transport routier, second secteur le plus consommateur d’énergie avec 34 % de la consommation énergétique finale, de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 29 % (par rapport à 1990) en 2030. Et de 70 % en 2050. Pour remplir ces objectifs, le GNV, le BioGNV et les biocarburants espèrent s’imposer en tant qu’énergies de transition. Et ce, avant que ne triomphent les véhicules électriques à batterie puis à pile à combustible à hydrogène vert.
Le réseau de stations GNV s’étoffe
Du coup, la fin annoncée du moteur thermique à l’horizon 2030 joue en faveur des véhicules fonctionnant au GNV (gaz naturel pour véhicule) estampillés Crit’Air 1 qui émettent 10 % à 15 % de CO2 en moins que le diesel. Avec le bioGNV produit à partir de déchets industriels, agricoles ou ménagers, la réduction s’élèverait à 80 %. D’où un certain succès. « Le GNV représente 52 % de nos commandes », reconnaît Clément Chandon, directeur marketing et produits chez Iveco, qui vient de recevoir une commande de 120 véhicules GNV de la part de Geodis faisant passer son parc à 320. En novembre dernier, toutes marques confondues, la France dénombrait 6 964 PL au GNV sur un total de 29 400 véhicules au gaz contre 3 513 deux ans plus tôt. Ce chiffre croît au fur et à mesure que le réseau de stations publiques s’étoffe. L’année dernière, 55 nouvelles stations ont ouvert leurs portes. Dont 7 en Occitanie et autant en Île-de-France, région la mieux lotie avec 33 stations contre 26 pour AuRA et 20 pour les Hauts-de-France. Sur ce tableau, PACA fait figure de parent pauvre avec 10 stations seulement sur les 195 recensées fin novembre en France. En majorité, elles proposent du bioGNV. À l’instar du réseau Total AS 24 qui compte 26 stations GNV et bioGNV contre 23 pour Air Liquide et 54 pour Engie Solutions qui enregistre le plus grand nombre de stations publiques (une cinquantaine). Notons que le GNV ne présente pas que des avantages. « Ce carburant connaît de très fortes variations de prix », remarque Alexis Giret, directeur du Comité national routier (CNR). De fait, l’indice CNR carburant gaz affiche au 1er décembre un prix en hausse de 81,56 % par rapport à 2020 ! « En coût total annuel d’un véhicule GNV revient aussi 5 % plus cher qu’un diesel mais 17 % de moins au kilomètre. ».
Camion dédié au ED95
L’argument prix joue d’ailleurs en faveur du bioéthanol E85 avec un litre acheté en moyenne 0,70 euros. À la différence du GNV, ce biocarburant destiné aux voitures essence compatibles est disponible dans plus de 30 % des stations. Au plan environnemental, il réduit de près de 70 % les émissions de CO2. Premier producteur européen, la France obtient ce carburant à partir de céréales, de résidus issus de la transformation de betteraves et, dans une moindre mesure, de résidus viniques. Parmi les nouveaux biocarburants, l’ED95 (95 % de bioéthanol et 5 % d’additifs) est destiné aux poids lourds Scania. Tout comme l’E85, il est produit en France par Tereos, Raisinor et Cristal Union. « Selon l’Ademe, l’ED95 réduirait de 88 % les émissions de CO2 durant tout le cycle de vie du carburant par rapport au diesel, selon l’Ademe », rapporte Alexandre Haack, responsable commercial bioéthanol chez Cristalco, filiale de commercialisation de Cristal Union qui, en novembre dernier, a achevé une expérimentation avec un camion Scania dédié à l’ED95, en partenariat avec Transport Daniel Feron situé dans l’Aube. « Un plein permet de parcourir jusqu’à 1 000 km », confie son dirigeant, Dominique Feron, qui s’est ravitaillé chez Cristal Union, faute de disponibilité en station. En revanche, il relève une surconsommation de 40 % de carburant rapport au diesel, compensée par un prix d’achat moins élevé. Convaincu de l’intérêt de l’ED95, le transporteur négocie avec Scania pour acquérir un poids lourd ED95.
En matière de biocarburant, l’Oleo100, produit uniquement à base de colza, gagne aussi du terrain. « Le prix du litre est comparable au diesel mais réduit les émissions de CO2 de 60 % », souligne Marc Vandecandelaere, directeur commercial Oleo100 chez Saipol, filiale du groupe Avril (7 000 collaborateurs). Trois ans après avoir lancé l’Oleo100, l’entreprise table cette année sur 520 clients dont 3/4 de transporteurs routiers. D’autant que les véhicules roulant à l’Oleo100 peuvent aussi se ravitailler en diesel en cas de besoin, sachant que ce carburant n’est pas disponible en station publique. MAN, Scania et Volvo Trucks proposent une offre de poids lourd roulant à l’Oleo 100. Mais Renault Trucks se distingue avec une option B100 irréversible qui en garantit l’usage exclusif. Avantage, le client bénéficie d’un sur-amortissement fiscal de 40 % à 60 % du coût d’acquisition, selon le tonnage du véhicule. Autre effet attendu, la catégorie des PL B100 irréversibles pourraient passer de Crit’Air 2 à Crit’Air 1. Des discussions sont en cours avec les autorités.
Allonger l’autonomie, raccourcir la recharge
« Ce sont les solutions électriques qui se développent le plus vite en VUL, en 16 t, 19 t et 26 t. Nous en avons une centaine sur la route et plusieurs centaines en commande, compte Olivier Metzger, directeur des énergies alternatives chez Renault Trucks pour qui, à l’instar des autres constructeurs, l’avenir est clairement électrique. Aujourd’hui, le coût total de possession d’un véhicule électrique est équivalent à celui d’un diesel 16 t pour la distribution urbaine. Certes, il est plus cher à l’achat mais réduit de 80 % les émissions de CO2 et de 30 % les frais de maintenance. » Point fort, le véhicule électrique accède aux ZFE. Renault Truck prédit ainsi que la part de sa production de VI électriques sera de 10 % en 2025, 35 % en 2030 et 80 % en 2035. Si, à l’horizon 2040, 75 % des 12,5 millions de camions du parc européen sont des véhicules électriques à batterie, il faudra augmenter la production électrique de 700 TWh/an. Ce qui, selon Eurostat, nécessiterait une hausse annuelle d’à peine 0,9 % entre 2021 et 2040.
Bien sûr, l’autonomie et les temps de recharge sont les points critiques. Ainsi, doté d’une batterie de 400 volts / 75 kW, l’utilitaire Ford E-Transit de 3,5 t à 4,25 t de PTAC bénéficie déjà d’une belle autonomie de 317 km en cycle WLTP mais réclame 8 heures de recharge en courant alternatif avec un chargeur embarqué de 11,3 kW. En courant 115 kW sur borne publique, l’autonomie passe de 15 % à 80 % en 34 minutes. Côté camions, la recharge complète sur prise 22 kW s’effectue en 10 heures pour les Renault Trucks D Z.E. de 16 t pour 400 km d’autonomie ou pour les Renault D Wide Z.E. de 19 t ou 26 t pour 180 km d’autonomie. Avec une borne de recharge rapide de 150 kW installée chez le transporteur, une à deux heures suffisent. Un prochain standard technique se dessine. D’une puissance de 1 MW, il raccourcirait la recharge à seulement quelques minutes.
500 millions d’euros dans un réseau européen de recharge
Dans le but d’accélérer le mouvement, Volvo Group (Volvo Trucks, Renault Trucks), Daimler Trucks et Traton (MAN, Scania, Volkswagen) ont signé un accord le 16 décembre dernier à Göteborg (Suède) pour créer dès cette année une entreprise commune dans laquelle les parties s’engagent ensemble à investir 500 millions d’euros. L’Idée ? Installer et exploiter dans les cinq ans au moins 1 700 points de recharge haute performance à énergie verte, situés à proximité des autoroutes ainsi qu’aux points de départ et d’arrivée des circuits logistiques. « En longue distance, le véhicule électrique à hydrogène devrait démarrer en 2025-2030. Le temps que l’hydrogène vert, actuellement à 12 euros/kg, tombe à 3,5 ou 4 euros/kg », reprend Olivier Metzger.
7 milliards d’investissement dans le plan Hydrogène
Dans cette logique, la Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné en France projette un financement de 7 milliards d’euros jusqu’en 2030 dont 2 milliards sont déjà attribués. Basée sur la dynamique des territoires, cette stratégie n’exclut pas le nucléaire pour fabriquer de l’hydrogène décarboné. À la différence de la start-up Lhyfe (80 salariés), créée en 2017, qui vient d’inaugurer à Bouin (Vendée) la première station européenne de production d’hydrogène vert, après avoir levé 58 millions d’euros en deux tours de table. D’une capacité d’une tonne d’hydrogène par jour (mais réglée à 300 kg/j aujourd’hui), cette unité d’une puissance de 2,5 MW d’électrolyse a réclamé un investissement de 30 millions d’euros. De quoi alimenter 25 camions par jour. « Nous sommes en phase de croissance exponentielle avec une quarantaine de projets en cours dans toute l’Europe », souligne Christophe Dubruque, le directeur commercial. Dans la prochaine décennie, nous nous projetterons vers l’Offshore loin des côtes. Notre capacité se multipliera par 100. » Société commune créée en juin 2021 par Renault Group et Power Plug, Hyvia, qui propose les stations d’hydrogène vert, l’hydrogène et de Renault Master H2-Tech, ne s’y trompe pas : « Avec Plug Power, nous avons conclu un accord en octobre 2021 avec Lhyfe pour codévelopper 300 MW de production d’hydrogène et viser le démarrage d’un site de 1 GW dès 2022 », précise David Holderbach, président d’Hyvia. Bref, l’hydrogène vert n’est plus futuriste.
© Eliane Kan et Erick Haehnsen – Paru dans le magazine l’Officiel des Transporteurs