Ressource indispensable en période de pénurie structurelle de conducteurs, l’intérim séduit transporteurs et chauffeurs. A côté de leurs métiers traditionnels, les enseignes du travail temporaire redoublent d’efforts pour recruter et fidéliser les conducteurs. Signe des temps, elles passent des app à l’agence virtuelle.
Selon le dernier rapport l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications dans les transports et la logistique (OPTL) édité en 2023, le recours à l’intérim touche un établissement de transport et de logistique (T&L) sur quatre en 2022. Si le nombre de travailleurs temporaires de la branche diminue de 79 436 en 2021 à 71 031 en 2022, soit une baisse de 11 %, celui du transport routier de marchandises (TRM) augmente, pour sa part, de 11 % passant de 19 720 à 21 802 sur la période (sources : DSN, Dares). Comment cette tendance impacte-t-elle les spécialistes du travail temporaire comme, entre autres, LIP, Mistertemp’ group, Proman, RAS ou Solano ?
Répondre à une demande en tension
« Il manque 40 000 conducteurs en France, surtout dans la distribution et la messagerie, constate Jean-Charles Fortier, directeur de la branche T&L chez LIP (CA 2023 : 468 millions d’euros, 720 collaborateurs, 180 agences) qui réalise 20 % de son activité, soit 96 millions d’euros en 2023 avec 105 permanents. Notre volume d’affaires porte à 80 % sur les métiers de la conduite avec 2 000 conducteurs, essentiellement en TRM. » « Notre métier consiste à aller chercher les profiles pénuriques », lance Nathalie Garet, DGA de Mistertemp’ group (CA 2023 : 420 millions d’euros, 450 salariés en propre, 1 100 collaborateurs avec les franchisés) et responsable de la marque Aquila RH. Laquelle opère, entre autres, sur le secteur transport-logistique (T&L) avec ses 200 agences dont quinze succursalistes.
Fidéliser les intérimaires
Les professionnels du travail temporaire multiplient les services pour recruter et fidéliser. A l’instar des autres enseignes d’intérim, « LIP met en place des formations de type FIMO, FCO, ADR ainsi que sur des équipements comme les remorques porte-voitures ou encore sur le rôle commercial du conducteur dans la distribution, précise Jean-Charles Fortier. Cette année, nous lançons des formations en conduite économique avec l’espoir de former 200 conducteurs d’ici la fin de l’année. »
« Transport frigorifique, transport exceptionnel, l’intérim est un moyen d’explorer les différents métiers de la conduite, sur tout type de camions, de remorques, de marchandises. C’est beaucoup mieux payé que chez un transporteur et j’ai toujours des missions », confie Amar Attik, 46 ans, conducteur intérimaire depuis 2022 chez LIP après un parcours de manutentionnaire en logistique.
Les spécialistes de l’intérim cherchent aussi à renforcer le sentiment d’appartenance à leur enseigne grâce à des prestations de comité d’entreprise (CE) ou à de l’épargne congés abondée à 5 % ou 6 %. « Nous développons, surtout auprès des conducteurs que nous avons formés, le CDI intérimaire. Intérêt : leur salaire est maintenu, même si nous n’avons pas de mission à proposer. En compensation, nous leur demandons d’effectuer des missions qu’ils n’auraient peut-être pas acceptées autrement », enchaîne Jean-Charles Fortier qui, dans le cadre d’un partenariat avec le Team Aravie Racing, invite des conducteurs en CDI intérimaires lors de courses de camions.
Agences d’intérim digitales
Autre évolution, les applis digitales de l’intérim rassemble sur le bassin d’emploi avec la possibilité de postuler directement. Pour aller plus loin dans la digitalisation, certaines enseignes, à la différence de LIP, intègrent des agences virtuelles. A commencer par Aquila RH dont l’agence digitale Mistertemp’ créée en 2016 contribue à recruter sur toute la France de façon dématérialisée. « Nous comptons près de 68 000 conducteurs sur 3 millions de profiles, dont 27 000 ont été recrutés par l’agence digitale, indique Nathalie Garet. Devenu incontournable, ce moyen de recrutement suit l’évolution des mentalités dans la société. Sans avoir à se déplacer, ce canal offre des réponses plus rapides aux intérimaires qui sont susceptibles d’être contactés par une agence pour un entretien physique ou en visio. Comme les agences sont déjà fortement digitalisées, il n’y a pas de grande différence entre le physique et le digital en dehors de l’entretien en présentiel. »
Les agences digitales contribuent-elles à tirer les prix vers le bas ? « Certes, la digitalisation dématérialise l’agence, ce qui réduit les frais de fonctionnement, et augmenter l’efficacité opérationnelle grâce à l’automatisation des processus, soulève Nathalie Garet. Cela étant dit, nous avons bien évidemment des recruteurs experts des métiers de la conduite pour proposer une prestation de grande qualité en adéquation avec les besoins de nos clients.. » Autrement dit, digitalisation ne signifie pas forcément déshumanisation. Qui plus est, elle ne freine pas le développement du réseau physique : « Nous ouvrons une trentaine d’agences par an. Une quinzaine de directeurs de développement accompagne les franchisés dans le projet entrepreneurial. »
Laboratoire d’innovation
« L’intérim digital s’engage dans une course à la performance technologique à la fois pour attirer les candidats et satisfaire les collaborateurs en poste ainsi que les entreprises clientes », reconnaît Alexandre Dardy, DG d’iziwork, agence d’intérim digitale (7 000 intérimaires actifs sur 1,7 million inscrits, 2 800 entreprises clientes), créée en 2018 et rachetée fin 2023 par le groupe Proman (CA 2023 : 4,1 milliards d’euros, 5 000 salariés, quatrième acteur européen de l’intérim avec près de 1 000 agences dans 18 pays dont 400 en France). Objectif : doter le groupe d’un laboratoire d’innovation. « Les nouvelles fonctionnalités sont d’abord lancées sur l’app izi puis elles sont étendues à l’ensemble du groupe et en particulier sur l’app myProman en France », explique Roland Gomez, président de Proman qui compte 100 000 intérimaires qui travaillent auprès de 45 000 entreprises.
Parmi les dernières innovations à base d’intelligence artificielle (IA), citons iziCheck qui vérifie en instantané l’identité de l’intérimaire ainsi qu’iziPay, le paiement anticipé et instantané. En aval de la demande 100 % digitale du collaborateur, le conseiller emploi virtuel géré par intelligence artificielle (IA) qui accompagne les intérimaires, décide de procéder immédiatement au virement anticipé de ses missions. Autre innovation à partir de décembre prochain : izIA, un conseiller emploi virtuel qui va répondre, sous forme d’un agent conversationnel (chatbot), aux questions des intérimaires 24 heures /24 (missions, contrats, relevés d’heures) ou envoyer une fiche de paie…
© Erick Haehnsen / Agence TCA
L’agence de Toulouse du groupe STG (3 000 collaborateurs sur 26 sites) se facilite la vie avec l’app iziwork.
Dans le cadre de contrats négociés au niveau du siège, l’agence toulousaine du groupe STG s’adresse à six agences d’intérim. Les demandes s’effectuent directement par téléphone. « Pour signer les contrats et valider les relevés d’horaires de travail, nous utilisons utilise l’application Iziwork, explique Lison Ona, assistante RH sur le site STG de Toulouse qui embauche jusqu’à dix intérimaires dont six en intérim structurel. S’il y a une erreur sur un contrat ou une relevé d’heures, il est facile de la détecter et de la corriger. Et, dans l’onglet « missions », je retrouve les personnes qui travaillent chez nous actuellement, où, la date de leur fin de mission, etc. Si la personne a déjà travaillé chez nous, nous pouvons alors capitaliser sur les connaissances qu’elle a acquises sur l’entreprise. »
© Erick Haehnsen / Agence TCA