Réputés pour leurs atouts environnementaux, les biocarburants voient leurs filières se structurer. Cependant, les dernières réglementations européennes marginalisent, chez les constructeurs, la fabrication de poids lourds thermiques au profit des véhicules électriques. Ce qui n’empêche pas les transporteurs de rentabiliser leur parc installé en développant l’usage des biocarburants en tant qu’énergies de transition. Le provisoire va-t-il s’installer durablement.
Selon l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN), le transport routier mondial a consommé près de 2,16 Gtep d’énergie en 2022, dont 4,3 % de biocarburants, soit 94 Mtep. Leur Point fort, ils réduisent les émissions de CO2 de 82 % à 0,54 kgCO2 e/l pour le HVO (Crit’Air 2), de 80 % à 0,61 kgCO2 e/l pour le biométhane (Crit’Air 1), de 61 % à 1,22 kgCO2 e/l pour le B100 (Crit’Air 1 pour le B100 exclusif), précise EcoCO2. Autre atout, un prix inférieur à celui du gazole, par exemple -20 % pour le bioGNV en moyenne. D’où un certain succès malgré l’immaturité du marché.
« En France, 11 000 poids lourds (+22 %) et 36 700 véhicules (+11 %) se sont avitaillés avec 1,5 TWh de bioGNV sur les 11 TWh de biométhane injectés dans le réseau en 2023 », indique Régis Gaignault, secrétaire général de France Mobilité Biogaz. En 2030, les besoins seront de 10 TWh sur 44 TWh de biométhane produits. Quant à l’autonomie des poids lourds, elle est de 900 km avec le bioGNC et de 1 500 km avec le bioGNL. » Résultat, la part du bioGNV dans le GNV en France passe de 19 % en 2021 à 35 % l’année dernière (+ 26%) pour atteindre 50 % l’an prochain et 100 % en 2030, avec une garantie de traçabilité conforme à la directive européenne sur les énergies renouvelables (RED). En outre, la taxe incitative relative à l’utilisation d’énergie renouvelable dans le transport (TIRUERT) devrait « rendre le biométhane attractif », estime François Brunero, directeur mobilités chez Primagaz. « Mais rien n’est clair en raison de la réglementation », souligne Benoît Guard, responsable des nouvelles énergies chez Avia Thévenin & Ducrot qui espère commercialiser le bioGNL de Primagaz en 2025-2026.
En fait, l’accord politique sur les émissions de CO₂ des véhicules lourds, conclu le 18 janvier dernier entre le Parlement et le Conseil européens, avant son vote définitif par le parlement le 22 avril avec une clause de revoyure en 2027, prévoit de renforcer la réduction des émissions des véhicules lourds neufs de 15 % en 2025 par rapport à 2019, 45 % en 2030, 65 % en 2025 et 90 % en 2040 pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Mécaniquement, cette réglementation va marginaliser les poids lourds thermiques au profit des versions électriques. « Celle-ci ne prend en compte que les émissions du réservoir à la roue, sans considérer l’ensemble du cycle de vie du bioGNV [et des autres biocarburants, NDLR] », indique Selma Tréboul, directrice des affaires publiques chez France Mobilité Biogaz. Du coup, les biocarburants risquent de se cantonner à de simples énergies de transition. Sauf si, d’ici 2027, les acteurs de la filière parviennent à faire accepter le dispositif du ‘‘facteur de correction carbone’’ (CCF), notamment grâce à l’homologation de véhicules bioGNV exclusifs.
Pour leur part, le HVO et le B100, bien que disponibles uniquement en stations privatives, connaissent une croissance à deux chiffres. A l’instar d’Oleo100, la marque de biocarburant de Saipol (filiale d’Avril) qui a vu ses ventes de B100 augmenter en 2023 de 50 % par rapport à 2022 à 180 000 m³ produits en France. « Nous travaillons avec 50 000 producteurs de colza, soit une capacité de 1,5 million de m³ », précise Marc Vandecandelaere, directeur commercial d’Oleo100 qui compte 1 550 clients (dont Mauffrey, Rave, Stef, etc) et autant de cuves installées qui desservent quelques 13 500 PL. Des véhicules fournis par MAN, Renault Trucks, Scania et Volvo Trucks. Ces quatre constructeurs disposent d’une offre de poids lourds B100 Flexible et d’une offre de B100 Exclusif. Laquelle permet d’obtenir la vignette Crit’Air 1 et de bénéficier d’un suramortissement de 40 % à 60 % sur l’acquisition de véhicules neufs. « Les B100 Exclusif pèsent près de 40 % des immatriculations des 2023 de PL à énergies alternatives », note Marc Vandecandelaere.
Parmi les autres fournisseurs de B100, le transformateur Valtris Champlor confie à Bolloré Energy la distribution de son Koolza100. Citons aussi le producteur Centre Ouest Cérérales (COC), une coopérative agricole de 1 850 adhérents. « Nous avons notre propre usine de transformation », fait valoir Raphael Biscaras, responsable commercial nord-ouest du Coc100 qui dessert 1 550 véhicules opérés par une centaine de clients dont Jacky Perrenot, Pomona et Heppner. Ce dernier a signé un accord tripartite avec COC et ses sous-traitants afin que ces derniers, dont STVM, puissent utiliser une partie de son foncier pour installer des cuves de Coc100. Les transporteurs adhèrent d’autant plus volontiers à ce biocarburant qu’il ne revient pas plus cher que le gazole en dépit d’une légère surconsommation de l’ordre de (2 % à 8 %) et d’une fréquence de maintenance plus élevée – avec un intervalle de 65 000 km au lieu de 100 000 km.
Mais c’est Altens qui remporte la palme de l’innovation avec son PUR100 Bas carbone dont le colza est issu de pratiques culturales favorisant le stockage du CO2 dans le sol. Ce qui hausse la réduction des émissions de CO2 à plus de 80 % contre 61 % pour le B100 traditionnel. C’est le cas des Transports Seine et Marnais (TSM) basés à Quincy-Voisins (77), qui, forts de leurs 35 moteurs roulant depuis trois ans en B100 traditionnel, « améliorent leur bilan carbone de 20 % supplémentaires grâce à ce nouveau biocarburant, explique Etienne Valtel, DG d’Altens. Notre plateforme de suivi MyAltens permet au transporteur de transférer les économies de CO2 réalisées à chacun de ses donneurs d’ordre. » En plus du B100, ce distributeur de carburants bas carbone commercialise également du biogaz, de l’hydrogène et du HVO fabriqué par Neste.
Egalement produit par TotalEnergies, ce biocarburant est issu de matières premières renouvelables, comme les huiles de cuisson usagées ou les déchets de graisse animale. A la différence du B100, le HVO ne nécessite pas d’adaptation du moteur.
« L’indice de cétane de notre HVO dépasse les 70 (contre 51 pour le gazole), ce qui améliore le rendement du moteur », plaide, pour sa part, Johannes Hartig, responsable du commerce de gros et du négoce pour l’Europe et l’Asie-Pacifique de Neste. Avec ses trois raffineries basées en Finlande, aux Pays-Bas et à Singapour, l’entreprise, qui fournit aussi Bolloré Energy, dispose d’une capacité de production de 3,3 millions de tonnes de produits renouvelables. Laquelle devrait atteindre 5,5 millions de tonnes en 2024 et 6,8 millions de tonnes d’ici fin 2026.
Parmi les utilisateurs du HVO, mentionnons les Transports Junet (28 collaborateurs dont 21 conducteurs et 22 porteurs Mercedes) qui ont reçu le label Objectif CO2 l’an dernier. L’entreprise installée à Amplepuis (69) remplit depuis 2022 sa cuve en alternant gazole (2/3) et biocarburant (1/3) PUR-XTL d’Altens. « Nous n’avons pas constaté d’incidence sur la consommation des véhicules, leur entretien ou encore la périodicité de vidange, constate Alain Junet, l’un des deux dirigeants. En revanche, le HVO nous coûte 15 % plus cher mais c’est le prix à payer pour conserver les chargeurs qui nous encouragent à être plus vertueux. »
© Eliane Kan et Erick Haehnsen / Agence TCA