Stimulé par les programme gouvernementaux de décarbonation du transport, l’écosystème de la recharge électrique Poids lourd électrique à batterie émerge tout juste. La période 2024-2025 devrait passer de quelques dizaines de stations installées à quelques milliers. Et ce grâce aux programmes opérés par l’ADEME et aux commandes des grands acteurs.
Pour garantir la neutralité carbone d’ici à 2050, le Green Deal européen contraint les nouveaux poids lourds (PL) à abaisser leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) de 30 % d’ici 2030 et de 55 % en 2030. Dans le cadre de France 2030, le programme gouvernemental « Ecosystème de véhicules lourds électriques », opéré par l’ADEME, mobilise une enveloppe de 224 millions d’euros dont 39 millions d’aides publiques. Une première tranche en juin 2023 permet à 80 lauréats (sur 231 candidats) d’acquérir 629 camions électriques à batterie (BET) neufs ou rétrofités. Soit une économie de 37 000 tonnes de CO2. Quant à la seconde de septembre dernier, elle prévoit un budget public de 19,5 millions d’euros. Et les annonces de pleuvoir : 165 BET Renault Trucks pour XPO Logistics… et 1 000 Mercedes-Benz e-Actros 600 pour le géant suisse Holcim ! DAF, Daimler Truck, Iveco (via Nikola), MAN, Renault Trucks, Scania, Volvo Trucks… tous les constructeurs intègrent déjà à leur catalogue des BET d’une autonomie supérieure à 300 km. Dans la foulée, le programme gouvernemental prévoit de déployer d’ici 2026 pas moins de 500 stations de recharge haute puissance (au moins 150 kW), soit 2 500 points de recharge, soutenues à hauteur de 60 %.
Un temps de recharge de 4 heures…
Lors des treizièmes Rencontres Flotauto, le 8 février dernier, la recharge occupait un quart de la surface de la Grande Halle de la Villette à Paris. En majorité, les acteurs ciblent la voiture particulière. Mais certains, tels entre autres, ABB, Allego, Altens, Bump, Chargepoly, Electra ou Siemens développent des offres adaptées aux Poids lourds. « Nous visons les chargeurs PL pour les 16, 22 et 26 tonnes – y compris le frigorifiques – utilisés pour la distribution urbaine ; et les 44 tonnes pour le longue distance sur autoroute, précise Olivier Delassus, directeur de la filiale française de Siemens E-Mobility qui, en janvier 2024, a acquis Heliox (330 salariés) équipementier néerlandais, spécialiste de la recharge PL avec, notamment, une borne 540 kW. Nous passons de 0 à 100 % de charge en une heure et de 30 % à 80 % en 30 à 40 minutes. » Car le but des IRVE dédiées PL, c’est bien sûr de délivrer la plus grande quantité d’électricité en un minimum de temps. Or, pour la recharge nocturne, il faut compter, selon MAN Truck & Bus, 4 heures sur une borne de 150 kW contre 1,5 heure sur une borne de 375 kW à la technologie CCS (Combined Charging System) normalisée.
… à 10 minutes
En technologie Megawatt Charging System (MCS), qui n’est pas encore normalisée, le temps de charge tombe à 45 minutes sur une borne de 750 kW à 10 minutes sur une borne de 3,75 MV. « Ce n’est pas parce que nos chargeurs font 360 kW en une fois ou 180 kW en deux fois que les batteries des PL sont capables de les prendre. A l’heure actuelle, la majorité des batteries PL n’excède pas 250 kW. Cependant, les progrès sont très rapides, constate Nicolas Chauveau, directeur commercial chez ABB E-mobility qui dispose d’un parc installé d’un million de chargeurs dans le monde, dont 60 000 de forte puissance – 3 500 pour la France et une soixantaine dédiés aux PL. « Nous livrons actuellement aux constructeurs des prototypes de batteries pour qu’ils puissent tester la recharge MCS », reprend Nicolas Chauveau.
Les grandes manœuvres ont commencé
Certes, le marché de la recharge PL est balbutiant mais il suscite de grosses levées de fonds au profit des opérateurs de recharge : 160 millions d’euros pour Electra, 180 millions pour Bump et 240 millions pour Zeplug. « A côté des 8 700 bornes que nous supervisons, dont 2 500 points de charge en propre, nous exploitons 40 stations PL et en avons une cinquantaine en cours », confie Tom Lyonnet, expert Poids lourds chez Bump qui emploie près de 80 salariés. « Notre réalisation phare porte sur l’hôtel logistique de Lyon (26 000 m²) avec 70 bornes de charge lente et rapides à 240 kW pour les VUL et les PL », reprend Tom Lyonnet qui dispose d’une borne de 400 kW et compte parmi ses clients DPD, DB Schenker et Urby. « En France, le marché devrait décoller à partir de 2024-2025 grâce aux appels d’offres de l’ADEME. Ensuite, il faudra voir comment les grands transporteurs vont électrifier leur flotte », renchérit Olivier Delassus.
Les offres se structurent
Il faut savoir que pour un BET de 300 00 à 500 000 euros, le coût moyen de la borne de recharge oscille entre 30 000 et 40 000 euros. A cet égard, saluons l’initiative de l’Union TLF qui a sorti en novembre son Guide d’installation d’infrastructures de recharge sur site. « Les transporteurs-logisticiens bénéficient aujourd’hui d’un écosystème suffisant pour trouver des partenaires capables de les accompagner dans leurs projets en tout ou partie », note Morgane Verdure, responsable Développement durable à l’Union TLF. Etudes, installation, maintenance, outils de pilotage… les opérateurs de recharge couvrent l’ensemble du spectre. « Avant d’aborder l’installation électrique et son optimisation, nous réfléchissons en amont avec le transporteur sur l’analyse des tournées, des autonomies, des temps de recharge et des temps de pause des conducteurs, explique Etienne Valtel, directeur général de l’opérateur Altens, filiale du fournisseur de carburants conventionnels Enens. « Nous jouons sur les plages horaires pour optimiser les coûts de l’électricité et proposons des outils de pilotage qui fournissent en temps réel les données d’utilisation des bornes et signalent, le cas échéant, les éventuelles défaillances », précise Thomas Vanquaethem, directeur général adjoint de l’opérateur Chargepoly, créé en 2019 qui a levé 15 millions d’euros auprès de Voltalia et du groupe industriel Fidève Group.
Reste que les chargeurs sont des installations électrotechniques qui réclament, outre la supervision, des mises à jour ainsi que des engagements de niveau de service (SLA) de niveau industriel pour la maintenance afin d’assurer la continuité de service. Ce qui a poussé, par exemple, Bump à proposer des contrats d’engagement qui garantissent la disponibilité à 98 % pendant 5 ans au coût de 45 centimes le kWh, infrastructure et énergies comprises. Ce qui n’est pas toujours bien compris par les transporteurs.
© Eliane Kan et Erick Haehnsen / Agence TCA