Face à la hausse des prix des véhicules neufs, les transporteurs cherchent à allonger la durée d’exploitation de leurs poids lourds. Ce qui permet aux enseignes de la distribution des pièces de rechange et à leurs ateliers de réparation-maintenance de se développer depuis huit trimestres consécutifs. Néanmoins ce secteur sera challengé cette année avec l’entrée en vigueur de systèmes des dispositifs de sécurité obligatoires à bord des PL. Prochain enjeu l’électrification des véhicules.
Selon l’Observatoire du véhicule industriel (OVI) de BNP Paribas Artegy, les délais de livraison des VI tombent à 150 jours fin 2023 contre 289 jours en juin dernier – 359 jours en 2022. Pourtant, les commandes au second semestre 2023 reculent de 20 %. En cause : la hausse de 9,2 % du prix des tracteurs et 9,7 % pour les porteurs neufs. ZFE, prix des carburants, la norme Euro VII et l’inflation… Dans cet environnement instable, « les exploitants se protègent. Ils rallongent la durée de vie des parcs et reportent les commandes de renouvellement [de parc] », indique Arnaud Villégier, directeur de l’OVI.
Extension de la durée d’exploitation des PL…
Autre constat : « La durée d’exploitation du parc PL et VI est passée de six ou sept ans en 2018 à neuf ans depuis 2022, précise Guillaume Faurès Fustel de Coulanges, DG de l’activité Poids lourds (PL) Groupe chez Autodistribution (2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires global), spécialiste de la distribution de pièces de rechange et de la réparation-maintenance qui génère 350 millions d’euros de revenus avec 1 500 collaborateurs – dont 200 millions d’euros en propre avec 1 000 salariés.Tant que le VI est sous garantie, les transporteurs en confient généralement l’entretien à la marque constructeur. Au-delà de 60 mois, ils se tournent de plus en plus vers les enseignes d’atelier de réparation multi-marques. » Et Jérôme Brunner, directeur commercial PL d’Alliance Automotive Group (AAG) qui réalise 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires pour 2023 avec 4 500 salariés, de renchérir : « Nos contrats d’entretien et réparation des PL, VI et remorques démarrent à zéro km et vont jusqu’à 15 ans. »
… une aubaine pour les enseignes-ateliers
Entre les réseaux des constructeurs et les ateliers intégrés des transporteurs, cet allongement de la durée de vie des véhicules ouvre un boulevard aux distributeurs-réparateurs. D’après le dernier son baromètre de la Fédération de la distribution automobile (FEDA), qui pèse 35 000 emplois pour 1 300 points de vente et ateliers, la distribution indépendante française poursuit au troisième trimestre 2023 sa croissance pour le huitième trimestre consécutif à hauteur de 6 % sur le créneau PL. Dont une hausse de 6,5 % pour les pièces de rechange et de 5,5 % pour les prestations. De quoi susciter des convoitises. Notamment celle de l’équipementier ZF qui, avec ZF [pro]Service, espère rassembler sous sa bannière 180 ateliers issus de Wabco Service Partner et de ZF Service Point VI. Et distribue 70 000 références produits dont ceux de Lemförder, Sachs, TRW, Wabco et ZF. Au programme : accès aux kits de rétrofit Wabco, formations orientées services, outils de de diagnostic Wabco et ZF Aftermarket et programme de labellisation. Autre alliance, présentée à Solutrans 2023, celle de First Stop et de Côté Route dans l’entretien des pneumatiques et des chronotachygraphes électroniques.
La force de la distribution et du service
« Notre force, c’est à la fois de distribuer des pièces détachées multi-marques aux ateliers intégrés et de proposer nos services de réparation-entretien multi-métier », reprend Guillaume Faurès Fustel de Coulanges dont les 400 techniciens du réseau AD Poids Lourds réalisent non seulement les contrôles réglementaires (chronotachygraphes, éthylotest antidémarrage, hayons…) mais aussi l’entretien courant et la mécanique générale (vidanges, freinage, suspension, électricité, moteur, transmission, climatisation, diagnostic électronique, carrosserie, pneumatiques…). L’enseigne s’appuie sur sa propre plate-forme logistique nationale de 10 000 m² située à Saint-Fargeau-Ponthierry (77). Celle-ci gère 160 000 références et assure des livraisons quotidiennes vers ses 200 points de vente et ateliers répartis sur le territoire français. De son côté, avec 200 000 références en stock ainsi que 226 points de vente et ateliers (dont la moitié en propre), Alliance Automotive Group (AAG), filiale de l’américain GPC, estime assurer déjà « 30 % de la rechange, hors constructeurs », fait valoirJérôme Brunner. Depuis deux ans, l’enseigne distribue en France les batteries ainsi que des plaquettes, tambours et disques de frein de Napa Trucks, la marque de GPC.
L’enjeu de la formation
Bien que de taille plus modeste avec 12 000 références, le réseau TVI mise, pour sa part, sur la formation des techniciens pour standardiser la qualité des prestations de ses 95 centres de réparations indépendants dont le dernier vient d’ouvrir à Outreau (62) . « Tous ces établissements proposent des prestations communes et un même niveau d’équipement, par exemple des outils de diagnostic, réparation et entretien », fait valoir Benoît Migeon, directeur général de TVI. Le groupe accompagne en effet ses adhérents dans le choix du matériel, l’adoption des bonnes pratiques ainsi qu’un catalogue dynamique de formations. A cet égard, AD Poids Lourds intensifie sa démarche de formation : « Nous avons ouvert notre école dont la première promotion de douze personnes a démarré en février 2023 et la seconde en octobre dernier. Nous accompagnons ces Bac Pro en maintenance des VI au travers d’un certificat de qualification professionnelle (CQP) qui est l’équivalent d’un Bac+2 », précise Guillaume Faurès Fustel de Coulanges.
Outre l’adaptation constante aux évolutions technologique des produits, l’enjeu de la formation porte sur l’accompagnement des transporteurs à se conformer à l’entrée en vigueur en 2024 des dispositifs de sécurité obligatoires à bord des VI : surveillance de la pression des pneus, avertissement de perte d’attention ou de somnolence, adaptation intelligente de la vitesse, automatisation du freinage d’urgence, radar et caméra de recul, warnings en cas de freinage brutal d’urgence, angles morts… « Les catalogues de formation sont en train de se constituer, confie Guillaume Faurès Fustel de Coulanges. Nous les aurons dans le cours de l’année. » Autre enjeu : la décarbonation des véhicules. « L’adaptation des véhicules au B100 ou au HVO est déjà bien maîtrisée », souligne Jérôme Brunner. Quant au rétrofit électrique à batterie ou à hydrogène, elle ne fait l’objet que d’expérimentations. A cet égard, citons la récente alliance du fabricant de pneumatiques Bridgestone et l’éditeur de gestion de flotte Webfleet pour créer une plateforme de services dédiée aux véhicules électriques, y compris les poids lourds.
© Eliane Kan et Erick Haehnsen / Agence TCA