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Logistique urbaine : le difficile passage des jumeaux de l’échelle d’une entreprise
à celle d’un territoire

Benjamin de Buttet (DCBrain) : « Nous collectons les données réelles du transporteur-logisticien qui vont nous aider à bâtir la représentation digitale la plus fiable possible de son réseau. »
©  DCBrain
Benjamin de Buttet (DCBrain) : « Nous collectons les données réelles du transporteur-logisticien
qui vont nous aider à bâtir la représentation digitale la plus fiable possible de son réseau. » © DCBrain
Article publié dans L’Officiel des Transporteurs - Le 30 juin 2024

Pont fort, les jumeaux numériques reconstituent la réalité économique et opérationnelle des transporteurs afin de simuler, grâce à l’intelligence artificielle, des scénarios d’amélioration au plan financier, opérationnel et environnemental. De nouveaux modèles cherchent à étendre cette démarche à l’ensemble d’une collectivité territoriale.

Construire des représentations digitales de l’activité économique d’une entreprise à partir de ses données réelles, tel l’objet des jumeaux numériques, ou Digital Twins, dans le transport routier de marchandises (TRM). Objectif : simuler, grâce à l’intelligence artificielle (IA), des scénarios pour réduire les coûts et optimiser l’efficacité opérationnelle et environnementale du transporteur. Aujourd’hui, ces aides à la décision portent sur les réseaux d’entreprises individuelles. Mais certains travaux étendent les jumeaux numériques aux problématiques de la logistique urbaine et donc à l’échelle d’un territoire.

Bâtir un modèle de simulation

Outre les données issues du système de gestion des opérations de transport (TMS), « nous collectons les données réelles du transporteur-logisticien qui vont nous aider à bâtir la représentation digitale la plus fiable possible de son réseau », explique Benjamin de Buttet, directeur des opérations de DCBrain (35 salariés), établie en 2014 et basée à Clichy (92), qui a levé 5 millions d’euros en 2022. Agences, horaires d’activité, capacités de chargement-déchargement, espaces de stockage, descriptions des véhicules et leurs équipements (hayon, grue, etc.)… à ces données s’ajoute également la cartographie numérique qui indique, entre autres, les limitations qu’imposent certains tronçons aux véhicules en termes de hauteur, vitesse ou charge maximale. 


« C’est avec les usagers que nous construisons un modèle de données plus ou moins détaillé et son processus d’actualisation ainsi que les modes de son maintien en état opérationnel », reprend Benjamin de Buttet qui compte parmi ses clients Ceva, Sofrilog et Stef. Remplacer un conducteur, étudier comment accélérer les tournées de livraison, rajouter des points de collecte… les scénarios d’optimisation des opérations varient à l’infini.

Avec sa solution Territory Analytics & Optimization, Kardinal accompagne les transporteurs dans leurs réponses aux appels d’offre afin de simuler le dimensionnement des besoins en ressources propres et en sous-traitance. © Kardinal

Evaluer de nouveaux modèles organisationnels et opérationnels

« En modélisant la réalité logistique du transporteur, le jumeau numérique sert à évaluer l’impact financier, opérationnel et écologique des évolutions potentielles de son organisation globale », souligne Jonathan Bouaziz, PDG de l’éditeur parisien Kardinal qui emploie une trentaine de salariés. En dix minutes, les usagers se font une première idée de ce qu’impliquerait, par exemple, un nouveau dépôt sur un territoire donné en termes de flux de marchandises ou de ressources humaines. Idem pour le découpage du territoire en fonction du nombre de conducteurs et des types de véhicules qu’ils utilisent. 

« Mais le gros des demandes concerne les réponses aux appels d’offre pour lesquels les transporteurs simulent le dimensionnement des besoins en ressources propres et en sous-traitance ainsi que les types d’organisation à mettre en place. Dans la foulée, les demandes portent aussi sur les négociations avec les transporteurs sous-traitants pour que chacun y trouve son compte, enchaîne Jonathan Bouaziz qui a levé 12 millions d’euros entre 2019 et 2022. Les jumeaux numériques montrent leur utilité lorsqu’il s’agit d’envisager de nouveaux modèles opérationnels. Comme les systèmes de double vague qui consistent à faire partir les expéditions non pas juste à 07:00 mais aussi à 10:00 afin de doubler les volumes d’expédition. » Parmi ses derniers développements, Kardinal phosphore sur la simulation d’un réseau Pick Up-Drop Off (PUDO). L’enjeu ? Augmenter la productivité des livreurs en dirigeant les livraisons vers des points relais ou des consignes automatiques.

La plateforme Liaison de l’IRT-SystemX montre comment son étudiés différents scénarios de consommation de carburant
et de passage à l’électrification en livraison urbiane sur une agglomération. © SystemX

Intégrer la stratégie de décarbonation 

Dans la perspective du développement des zones à faibles émission (ZFE-m), les éditeurs de jumeaux numériques accompagnent les transporteurs dans leur stratégie de décarbonation et de transition énergétique. Passage aux véhicules alternatifs (B100, HVO, véhicules électriques, cyclo-logistique), livraison à pied… ces changements en termes de capacités d’emport, d’autonomie énergétique et de compétences des conducteurs modifient profondément l’organisation des tournées.  « Les jumeaux numériques contribuent à prendre les bonnes décisions, sans grever ses marges, résume Benjamin de Buttet dont les solutions contribuent à raccourcir de 5 % à 10 % les distances parcourues par les chauffeurs et les livreurs. C’est autant de carburant économisé ou d’émissions de CO2 évitées. » 

Cependant, ni DCBrain ni Kardinal ne globalisent l’impact de leurs solutions sur le gain environnemental issu de tous leurs clients. De même, leurs solutions ne s’appliquent qu’à des entreprises individuelles.  « Nous avons été sollicités par certaines municipalités mais cela n’a pas débouché, reprend Benjamin de Buttet. En revanche, des chargeurs viennent nous voir pour décarboner ou optimiser l’ensemble de leur poste transport-logistique. » 

Simulation par Neovya Mobility by Technology d’une étude sur les flux de poids lourds à Bordeaux.
© Neovya Mobility by Technology
Simulation par Neovya Mobility by Technology d’une étude sur les flux de poids lourds à Bordeaux. © Neovya Mobility by Technology

Passer à l’échelle d’un territoire

Etendre les jumeaux numériques en faveur de la logistique urbaine durable à l’échelle d’un territoire, tel fut l’objet, des projets européens de recherche LEAD et DISCO, dans le cadre du programme Horizon 2020. En résulte Liaison, plateforme livrée l’an passé à la Métropole de Lyon par l’Institut de recherche technologique SystemX, qui « reconstruit les flux logistiques du dernier kilomètre pour tester des scénarios de politique, de tarification ou d’infrastructure, décortique Yann Briand, responsable du domaine mobilité et logistique au sein de l’IRT-SystemX. Globalement, les collectivités ne disposent pas d’informations consolidées sur l’ensemble des flux que leurs réseaux supportent. Or ce sont ces données quantitatives que nous explorons au travers de différents scénarios. Comme, par exemple, l’électrification des véhicules. » Malgré cela, la Métropole de Lyon n’utilise pas Liaison. Néanmoins,  l’IRT-SystemX déploie cette plateforme à Copenhague (Danemark) pour contribuer à sa stratégie de décarbonation.

Avec plus de 50 clients en métropole, dans les DROM-COM, en Allemagne et en Suisse, la start-up lyonnaise Neovya Mobility by Technology, créée en 2019, a plus de succès. Son équipe de huit docteurs-ingénieurs (sur dix salariés) collecte et standardise les données de mobilité du territoire (équipements routiers, boucles de comptage, feux tricolores, bornes Bluetooth, analyse de vidéosurveillance, etc.), des opérateurs de téléphonie mobile comme Orange Fluxvision, des opérateurs de GPS (TomTom, Here Technologies, Inrix…) à bord des véhicules, des opérateurs de transports publics et des portails de données ouvertes (OpenStreetMap, Insee, etc.). Une fois nettoyées, dédoublonnées et anonymisées, ces données sont transformées en informations et cartographiées, avec des indicateurs et des tableaux de bord afin de fournir des éclairages pour les politiques publiques en matière de transports et de mobilités. « Avec cette organisation, nous diagnostiquons la provenance et la destination des flux, leurs horaires, les points de saturation, les temps de parcours, les modes de transport (camions, VP, vélos, etc.)…, détaille Aurélien Duret, cofondateur, président de Neovya. Nous en tirons un modèle multimodal des déplacements, un modèle d’affectation routière, des modèles dynamiques de trafic et un modèle d’impact des émissions environnementales. » 

© Erick Haehnsen / Agence TCA