Selon plusieurs études, les entreprises subissent plus que jamais l’impact du Covid avec une montée de l’absentéisme et un désengagement des salariés. Les cabinets spécialisés sont appelés à la rescousse pour trouver des solutions durables à ces crises QVT.
L’impact du Covid-19 sur la santé physique et mentale des salariés français ne faiblit pas dans les entreprises. 80 % des décideurs RH pensent que la crise sanitaire a un impact sur l’organisation du travail, selon l’étude de l’institut YouGov rendue publique ce lundi 17 octobre. L’enquête a été réalisée auprès de 300 décideurs RH pour le compte d’Edenred, une plateforme digitale de services et de paiement et l’accélérateur de projets lesBigBoss.
L’étude montre que depuis la crise sanitaire, les décideurs RH constatent une baisse de l’engagement de leurs collaborateurs. 60 % les sentent moins engagés et 6 % estiment qu’ils sont beaucoup plus désengagés. Ce qui les a obligés à être réactifs et à identifier les défaillances internes. Ce désengagement n’est pas surprenant à la lecture de la 10ème vague du baromètre du cabinet Empreinte Humaine. Publiée en juillet dernier, celle-ci rapporte que 41 % des salariés sont en situation de détresse psychologique. Les salariés de moins de 29 ans sont 59 % à être touchés contre 46 % pour les femmes et 43 % pour les managers. En cause, le télétravail mais aussi le manque d’action des entreprises en faveur de la santé psychologique des salariés.
La mauvaise santé physique et mentale des salariés se confirme à la lecture du dernier baromètre Absentéisme de Malakoff Humanis publiée aussi cet été. L’enquête a été réalisée à partir de l’interview de 1 800 salariés et 400 dirigeants. L’étude montre que 42 % des salariés se sont vu prescrire un arrêt maladie en 2022. Soit une hausse de 4 points par rapport à 2021 et de 6 % par rapport à 2020. Parmi les grandes tendances, une augmentation du nombre des arrêts longs qui passent de 9 % en 2018 à 14 % en 2022 avec une durée moyenne de 97 jours. A noter aussi une progression des arrêts multiples sachant que 41 % des salariés arrêtés l’ont été au moins deux fois courant 2022 contre 37 % en 2019.
Notons aussi que la part des arrêts liés à la Covid est passée de 6 % en 2020 à 22 % en 2022. Si les maladies ordinaires restent la première cause des arrêts, en revanche, les troubles psychologiques et l’épuisement professionnel représentent 20 % des arrêts maladie contre 11 % en 2016 et arrivent en deuxième position, dépassant les TMS. En cause, les pratiques managériales, les exigences du travail et les rapports sociaux. Sans oublier, les difficultés de conciliation vie pro/vie perso ainsi que les conflits avec les valeurs de l’entreprise. Deux motifs en très forte hausse par rapport à 2021 qui ont sans doute amené les salariés à massivement démissionner.
Le phénomène de la grande démission touche tant les salariés que les managers et les cadres dirigeants. C’est du moins ce qu’annonce une récente étude menée par le cabinet conseil en RH Arthur Hunt, en partenariat avec l’entreprise de sondage IFOP, et Bona Fidé, spécialiste de l’accompagnement des organisations dans leurs stratégies de communication et d’influence. L’enquête a été réalisée auprès de plus de 500 cadres dirigeants et managers de haut niveau. Elle révèle que 58 % de sondés se disent être tentés de démissionner dans les mois qui suivent pour changer d’entreprise ou d’activité. Principales raisons, la recherche de sens et la modification profonde du rapport au travail.
A l’heure de la grande démission, retenir les talents est impératif pour la performance, voire la survie des entreprises. En effet, pour remplacer les démissionnaires, il leur faudra consacrer plusieurs mois à la formation des nouveaux collaborateurs – encore faut-il être capable de les trouver et de les recruter. Dans ce contexte, savoir détecter et agir sur les premiers signes d’une crise QVT (qualité de vie au travail) peut éviter d’avoir faire face à une vague de démission, d’absentéisme ou de Quiet Quitting (ou en français, démission silencieuse). Ce nouveau phénomène concerne les collaborateurs qui baissent leur niveau d’engagement personnel. S’il est difficile de mesurer l’ampleur du Quiet Quitting, les entreprises peuvent toutefois identifier ce problème en suivant l’engagement au travail et en utilisant notamment le Net Promoter Score.
Lequel consiste à demander aux salariés s’ils sont prêts à recommander leur entreprise à un tiers. « Si un salarié met un score compris entre 9 et 10, cela signifie qu’il est promoteur de l’entreprise alors qu’entre 7 et 8, cela veut dire qu’ il est neutre, mais si le score est de 6 et moins, cela indique qu’il en serait un détracteur », explique Camy Puech, fondateur et président de Qualisocial, un cabinet conseil qui aide quelques 600 organisations à prendre soin de leurs salariés.
En 2020 et 2021, l’entreprise qui compte 60 salariés et travaille avec 800 intervenants a constaté une baisse du Net Promoter Score. Et ce, dans tous les secteurs d’activité. Les plus touchés étant la banque-assurance, les services publics et les services aux entreprises. « En 2021, nous avons constaté une hausse de la souffrance au travail qui recouvre le Burn-Out, les dépressions et le désintérêt pour le travail », rapporte le dirigeant qui cite le cas d’une grande entreprise du secteur de la Tech de 1,500 personnes. En 2021, deux médecins du travail envoient un courrier pour alerter la direction de l’entreprise sur l’état de grande souffrance des salariés. Un constat confirmé par les partenaires sociaux qui demandent une expertise sur la souffrance au travail des salariés. La direction qui partage leur analyse confie à Qualisocial le soin de mener une enquête interne. « Nous avons lancé une démarche en demandant l’avis de l’ensemble des collaborateurs sur différents vecteurs de QVT. Par exemple, les horaires de travail et relations avec les collègues, l’équilibre vie privée vie perso, leur capacité à se concentrer et être à jour dans leur travail, etc. » indique Camy Puech.
Une fois les principaux facteurs de QVT recensés, les préventeurs sont allés à la rencontre de 80 salariés afin de recueillir leur avis et trouver collectivement des solutions pour améliorer la QVT. Pour y parvenir des groupes de travail ont été créés sur des thématiques spécifiques. Entre autres, les conséquences de la crise sanitaire, l’impact de l’ancienneté et l’épanouissement chez les clients. Ce travail collaboratif a mis en évidence que la souffrance des collaborateurs provenait de différents problèmes organisationnels. Parmi lesquels on a retrouvé, à titre d’exemple, le fait que les clients aient des demandes complexes auxquelles ils n’arrivaient pas à répondre, faute de ressources.
Pour résoudre ce problème, des groupes de travail ont été créés. Des plans d’action ont ensuite été déclinés modifiant l’organisation du travail et même le business modèle de l’entreprise. Cette action s’est traduite finalement par une montée en gamme de l’offre puisque l’entreprise ne propose plus une personne sur un projet mais un collectif d’experts afin de répondre à l’ensemble des besoins clients. Ce projet qui s’est terminé en juin dernier sera suivi en novembre au travers d’une enquête d’engagement qui permettra de vérifier que le plan d’actions déployé aura bien eu un effet positif et amélioré la QVT.
Autres conséquences du Covid-19 susceptible de générer de nouvelles crises, la nécessité de gérer les nouveaux paradigmes du travail tels que le télétravail ou le travail hybride (mode associant présentiel et télétravail). Ces modes de travail ont bouleversé les pratiques managériales et transformé l’organisation au sein des entreprises. Certaines ont d’ailleurs eu les plus grandes difficultés pour faire revenir au bureau leurs employés. A l’instar de cet acteur de l’énergie qui a fait appel à Empreinte Humaine, un cabinet conseil spécialisé dans les risques psychosociaux (RPS) et la QVT pour accompagner des salariés récalcitrants de passer au mode de travail hybride. Ces employés appartiennent à une unité spécialisée dans le digital regroupant 150 salariés et dont un quart ne voulait pas revenir au bureau car ils n’en voyaient pas le sens. « Outre les risques liés à l’isolement et à l’individualisme de ces salariés, leurs managers se sont inquiétés de la difficulté à gérer une équipe ayant perdu le sens du collectif », explique Valentina Urreiztieta, directrice du pôle conseil-formation au cabinet Empreinte Humaine et psychologue clinicienne, du travail et des organisations.
En réponse aux préoccupations des managers, le cabinet les a formés à mettre en place une organisation du travail en mode hybride. L’enjeu étant de suivre la production et les performances de leurs collaborateurs en se basant sur des notions de confiance et de collectif du travail. Suite à cette formation, un état des lieux a été dressé par les managers et leurs salariés. Une vingtaine d’ateliers virtuels pour toutes les équipes se sont ainsi déroulés dans un espace numérique de confiance contrôlé et régulé par un animateur d’Empreinte Humaine. « Salariés et managers ont pu exprimer leurs préoccupations, reprendre ensemble les fondamentaux et poser les bases d’une organisation du travail claire pour tous », rapporte Valentina Urreiztieta. Dans la foulée de ces ateliers, les managers de proximité ont été réunis afin de faire un retour d’expérience.
L’occasion de partager leurs préoccupations et leurs bonnes pratiques. Ensuite, les résultats de ces différents travaux ont été transmis à la direction RH et au Comex afin de décider des actions organisationnelles à mettre en place pour répondre globalement aux besoins des équipes, promouvoir le bien-être au travail et instituer un environnement de travail (hybride) serein. Des accords ont ainsi été conclus sur le droit à la déconnexion, l’équilibre vie privée-vie professionnelle, le fonctionnement du télétravail et le travail hybride. Un an après son intervention, le cabinet Empreinte Humaine fait état de retours positifs sur le fonctionnement de la nouvelle organisation. Si, en majorité, les salariés sont passés en travail hybride (trois jours au bureau et deux jours en télétravail), un petit pourcentage a souhaité rester 100 % en distanciel. Ces derniers bénéficient d’un accompagnement individuel afin d’en connaître les causes et de mettre en place d’autres mesures en concertation avec leurs managers. Lesquels se sont vu accorder la flexibilité nécessaire pour répondre aussi au besoin du collectif.
Eliane Kan