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Le transport fluvial prépare sa révolution hydrogène

Le loueur Les Canalous, qui dispose de sa propre usine de fabrication de bateaux sans permis, compte équiper un bateau de promenade d’un système électro-hydrogène d’une puissance de 3 kW. © Les Canalous
Le loueur Les Canalous, qui dispose de sa propre usine de fabrication de bateaux sans permis, compte équiper un bateau de promenade d’un système électro-hydrogène d’une puissance de 3 kW. © Les Canalous
Article publié dans le quotidien Les Échos - Le 2 mai 2022

Prévu aussi bien pour décarboner les opérations à quai que pour la propulsion, les systèmes électro-hydrogène cherchent leur voie. Ce qui suscite d’une part des programmes d’études et recherche mais aussi des start-ups innovantes.

Fluides et dénués d’embouteillages, les 8 500 km de voies navigables du réseau fluvial français recèlent de nombreux avantages environnementaux. En effet, un convoi fluvial de 4 500 tonnes équivaut à 4 trains de fret ou 220 camions. De quoi désengorger nos routes et nos villes. D’où l’ambition de Voies navigables de France (VNF) d’augmenter de moité à 75 millions de tonnes le fret fluvial au travers de son contrat d’objectifs et de performance (COP) 2020-2029. Sans créer de nouvelles infrastructures, les axes Seine, Rhône et Rhin pourraient même accueillir de deux à quatre fois plus de trafic.

Au-delà du gain environnemental, le transport fluvial de fret et de passagers (15,6 millions de journées/passagers en moyenne) cherche ses propres voies de décarbonation. À commencer par l’hydroélectricité sur les ouvrages (barrages, écluses…). Dans le sillage des 80 microcentrales hydroélectriques en activité sur le réseau, en majorité exploitées par des entreprises privées, une dizaine de nouvelles installations sont en cours d’installation. Qui plus est, VNF héberge également depuis fin 2018 sur le Rhône le premier parc d’hydroliennes fluviales du monde ! D’ici 2030, le COP 2020-2029 envisage d’investir près de 3 milliards d’euros dans les infrastructures fluviales. Lesquelles pourraient, le cas échéant, servir à fournir de l’hydrogène par électrolyse de l’eau.

Pour sa part, Hydrogène de France (HDF), PME bordelaise créée en 2013, a levé 115 millions d’euros l’an dernier sur Euronext Paris pour développer des générateurs hydrogène à quai d’une capacité de 200 kW à 1,5 MW. Objectif : éliminer la consommation de carburants fossiles des groupes électrogènes durant les escales. « Installée sur une barge, l’unité à hydrogène se place juste à côté du bateau pour l’alimenter en électricité pendant une dizaine d’heures », explique Benoît Fournaud, vice-président de HDF qui prend aussi part au projet la Power Barge Elemanta H2 de Sofresid d’une capacité de 1,5 MW. HDF vise également le marché des des stacks hydrogène standard pour le rétrofit électrique de navires existants. Dans le même esprit, la start-up rochelaise Genevos lance des modules hydrogène de 15 et 40 kW capables de s’associer jusqu’à 1 MW et cherche à se positionner sur le rétrofit hydrogène des bateaux.

Pour l’heure, l’hydrogène est cependant loin d’être compétitif. « L’hydrogène gris, à partir de gaz naturel coûte de 2 à 3 euros le kilo. Contre 10 à 15 euros pour l’hydrogène vert, soulève Jean-Pierre Husson, consultant senior au cabinet Naldeo. Par ailleurs, une motorisation à l’hydrogène occupe un espace de 20 à 25 m³. Soit une perte de 20 % à 30 % de fret. » D’où le recours, à court et moyen termes, aux biocarburants alternatifs comme le B100 ou et bioGNV. « Les infrastructures de production et de distribution de l’hydrogène sont à bâtir, de même que la filière d’équipementiers et constructeurs de bateaux à hydrogène », enchaîne Jean-Pierre Husson.

D’où l’intérêt des travaux que finance VNF. En témoignent les deux pousseurs de barges portés par Cemex et Lafarge sur l’axe Seine, dont l’industrialisation devrait commencer l’an prochain. De son côté, la société L’Équipage phosphore sur Hybarge, un automoteur (30 mètres de long) de nouvelle génération dédié à la livraison urbaine de produits alimentaires sur le canal des deux mers de Bordeaux à Sète. Sur le secteur de la plaisance fluviale, « nous travaillons avec l’intégrateur Europe Technologies sur le rétrofit d’un bateau de promenade qui sera doté d’un moteur de 3 kW et d’un réservoir de 1,8 kg d’hydrogène », précise Alfred Carignant, PDG du groupe Les Canalous, un loueur qui exploite 300 bateaux sans permis pour se promener à la journée ou habiter à la semaine (15 m). Dans la perspective des JO de Paris 2024, l’hydrogène semble encore futuriste. Il est plus probable que la décarbonation de la Seine s’appuie sur des bateaux à biocarburants ou bioGNV et des bateaux électriques à batterie.


© Erick Haehnsen