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Exhauss

Des exosquelettes pour préserver la santé des opérateurs

Actifs ou passifs, ces dispositifs contribuent à soulager les opérateurs lors du port de charges lourdes ou de la manutention répétée d’objets. Entre autres, ils aident à prévenir les risques de lombalgie et autres troubles musculosquelettiques (TMS).

Les troubles musculosquelettiques (TMS) font partie des premières causes d’accidentologie dans les entrepôts. Dans le secteur des transports et de la logistique, la fréquence des accidents du travail et maladies professionnelles ayant pour motif une lombalgie s’élève à 21 personnes sur 1 000 (contre 8,5 pour l’ensemble des secteurs d’activité). C’est le taux de fréquence le plus élevé devant les secteurs de l’aide et des soins à la personne, des déchets, du commerce et du bâtiment. En cause, la manutention manuelle d’objets, les chutes de hauteur et les postures contraignantes et mouvements divers. Sans oublier bien sûr le port de charges qui est même la principale cause de lombalgies liées au travail. Dans les entrepôts spécialisés dans le e-commerce, les femmes et les hommes en charge de faire de la préparation de commandes doivent porter entre 2 et 6 tonnes de marchandises par jour. Pour les soulager, les assister dans leurs tâches et prévenir les risques d’accident, de plus en plus d’entreprises comme DHL, FM Logistic, Geodis ou le groupe La Poste se tournent vers les exosquelettes. Il s’agit de dispositifs d’assistance physique qui secondent les opérateurs dans leurs efforts. Plusieurs fabricants occupent le marché européen. Outre le néerlandais Laevo et l’espagnol Iturri, plusieurs entreprises françaises se distinguent dont Ergosanté, Europe Technologies, Exhauss, HMT, Japet et RB3D.

Cet exosquelette a été élaboré initialement pour répondre aux besoins des agents de la SNCF. Il sert à présent aux préparateurs de commandes.
©Ergosanté Technologies

« Portée à même le corps par l’opérateur, l’exosquelette diffuse de l’énergie afin de diminuer et soulager les efforts musculaires très localement, sur des muscles précis et dans un mouvement très simple », explique l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). L’exosquelette contribue ainsi à redresser le dos et à soulager les épaules lors de la préparation de commande ou du picking. Concrètement, un exosquelette repose soit sur des systèmes mécaniques dits « passifs » soit sur des systèmes motorisés à commande électronique dits « actifs ». Ces derniers sont les moins répandus. Parmi les fabricants, citons le français Japet. Son exosquelette est équipé de quatre micromoteurs et de batteries afin de prévenir le mal de dos . Notamment lorsque l’opérateur charge et décharge des marchandises sur une durée ponctuelle.

Assistance en position penchée

A la différence des exosquelettes actifs, les systèmes passifs pourvus de ressorts ou d’élastiques sont les plus répandus. En témoigne le Laevo de l’entreprise éponyme. Expérimentée notamment par DHL, FM Logistic et Geodis et La Poste, cet exosquelette a pour vocation de protéger et soulager la région lombaire de l’opérateur quand il travaille en position inclinée vers l’avant, de manière répétée et prolongée. De quoi intéresser les agents en charge de dépalettiser des colis. « L’exosquelette Laevo génère un appui de façon artificielle au niveau du genou de sorte que le poids de la charge se déporte sur les cuisses », rapporte Julian Heras, directeur France, division Industrie chez Iturri, un distributeur d’équipements de protection individuelle (EPI), fabricant d’exosquelette et actionnaire de Laevo. « Le Laevo se porte comme un sac à dos, il s’enfile très rapidement et n’est pas trop intrusif en dépit de ses ressorts latéraux », décrit Julian Heras. Concrètement, l’exosquelette empêche l’opérateur de prendre une mauvaise position en courbant le dos lorsqu’il se penche en avant. Ce qui améliore la tenue du dos et limite ainsi les douleurs tout en renforçant la ceinture abdominale. Par ailleurs, grâce à sa structure interchangeable, le Laevo s’adapte à la taille de chaque utilisateur. « Comme il s’agit d’un EPI, l’opérateur doit être formé à son utilisation et à son réglage de sorte à être autonome », avertit Julien Heras qui fait d’ailleurs partie d’un groupe d’experts scientifiques où l’on retrouve l’INRS ainsi que des industriels qui phosphorent sur les futures normes relatives aux exosquelettes.

Fournir des muscles supplémentaires

Parmi les pionniers du marché, figure le français Exhauss dont le premier exosquelette a été conçu pour aider mécaniquement l’opérateur à lever les bras au-dessus de la tête en lui procurant un appui rétractable sur lequel s’accouder. Depuis lors, la marque lyonnaise étoffe régulièrement son offre pour ses clients travaillant dans l’industrie et le secteur du transport et de la logistique. Après avoir lancé deux premiers exosquelettes, le Worker qui compense les effets de la gravité et le Picker qui délivre une assistance progressive, l’entreprise présente un nouveau modèle, le Stronger. Conçu avec ses clients dont DHL et XPO, celui-ci fait la synthèse de ses deux prédécesseurs en délivrant une assistance à la fois iso-élastique (effet 0 gravité) et progressive. Majoritairement fabriqué en France – en dehors des mousses et autres textiles-, cet EPI pèse un peu plus de 5 kg et supporte 25 kg de charge. De quoi intéresser le secteur de la logistique. « Nous assistons les utilisateurs dans le port de charge en diminuant les contraintes musculosquelettiques au niveau notamment des mains, poignets, avant-bras, biceps coiffe, et en répartissant la charge majoritairement au niveau du bassin et une faible partie au niveau des omoplates », décrit Pierre Davezac, le fondateur d’Exhauss.

Autre particularité du Stronger, l’utilisateur pourra le reconfigurer en fonction de ses besoins, en ajoutant ou en retirant des segments. Pour aider à porter des objets volumineux, il bénéficiera aussi de quatre degrés articulaires de liberté, notamment au niveau du coude. Enfin, Exhauss s’efforce de reproduire la sensation du muscle humain en intégrant dans le dispositif une suspension à tendeurs associée à des roulements à billes. Ce qui confère au mouvement des propriétés quasi organiques. « Porter un Stronger reviendra à se doter artificiellement, en quelques secondes, d’un supplément de masse musculaire et d’un renforcement osseux des membres supérieurs », résume Pierre Davezac qui prévoit de lancer sa nouvelle offre d’ici avril.

Diminuer la fatigue des bras

Arrivée en 2017 sur le marché des exosquelettes, HMT (Human Mechanical Technologies) conçoit, fabrique et intègre des solutions exosquelettes. Créée de jeunes diplômés de l’École nationale d’ingénieurs de Tarbes où elle s’est installée, l’entreprise rassemble douze personnes dont trois ergonomes. Ces derniers s’assurent de la bonne adaptation de leurs solutions aux métiers de leurs clients. L’entreprise a déjà développé deux modèles d’exosquelettes 100% mécaniques. Premier de la série Plum’ Mobility est un exosquelette léger (2,1 kg) dédié aux opérateurs travaillant les bras en hauteur. De son côté, la première génération du Light Mobility, pesant 3 kg, est conçue pour soulager les bras des utilisateurs durant le port de charges pouvant aller jusqu’à 12 kg et dans le cadre de manutentions répétitives. « Avec cet exosquelette, nous diminuons le poids porté à la journée en réduisant l’effort musculaire des bras. Et ce, sans rajouter de contrainte ni de gêne à l’utilisateur », résume Kevin Régi, le président de HMT. La start-up bénéficie du soutien de BPIfrance, la région Occitanie et d’autres structures locales pour accélérer son développement qui a débuté l’an dernier avec la commercialisation de ses produits.

Avec ce dispositif, l’opérateur ressent moins de fatigue dans les bras lorsqu’il manipule une charge.
©HMT

A la différence de ses concurrents, Ergosanté Technologie propose un exosquelette multifonction. Fabriqué aussi en interne à Anduze (Gard), il est conçu pour soutenir différentes postures comme les bras en l’air avec un support cervical, les bras à mi-hauteur et les flexions en avant. Basé sur la technologie en fibre de verre, il protège les lombaires lors de la flexion du tronc et soulage le port de charges lourdes avec une assistance de 5 à 15 kg, le poids étant reporté au niveau des hanches. A l’origine, ShivaExo, du nom de cet exosquelette, a été créé pour répondre aux besoins de la SNCF où il est en cours de déploiement. Ses utilisateurs sont, entre autres, des agents obligés de soulever d’une main un bloc de frein de 25 à 30 kg pour le fixer sur un équipement à l’aide de l’autre main disponible.

Ce geste particulièrement pénible réclame en outre une connaissance métier pointue. D’où la nécessité de préserver au mieux la santé de ces opérateurs avec un exosquelette. L’équipe de la SNCF a fait plusieurs centaines d’études ergonomiques avant de déboucher sur l’idée de créer un exosquelette multifonction. La conception et la réalisation ont été confiées à Ergosanté Technologie qui, à l’origine, est un fabricant de sièges ergonomiques de 70 personnes pour un chiffre d’affaires de plus de 7 millions d’euros en 2019. « ShivaExo intéresse les opérateurs travaillant dans un entrepôt car il leur permet de soulever des charges au sol et de les porter », fait valoir Claude Jaubert, conseiller chez Ergosanté Technologie qui s’apprête à présenter en mars prochain un nouveau produit. Destiné aux professionnels du transport, celui-ci vise à soulager le dos. « Il s’agira d’un soutien postural qui va maintenir le conducteur dans les positions optimales. »

Besoin d’exosquelettes plus compacts

De quoi étoffer l’offre du fabricant, sachant que, dans le transport routier, les entreprises sont à la recherche de solutions qui aident les chauffeurs à charger et décharger les marchandises plus rapidement. « Il faudrait que l’exosquelette soit suffisamment léger pour que son utilisateur puisse entrer aisément dans la remorque, se pencher en avant afin de prendre les marchandises sur les racks sans être contraint par son dispositif », recommande Pierre André Foix, directeur général de Fox Innovation Robots, société française experte en système d’assistance à la manutention. Par ailleurs, compte tenu de la faiblesse de leurs marges, les acteurs du transport et de la logistique veulent avoir des produits adaptés à leur bourse. D’où l’intérêt que suscitent les harnais ergonomiques de manutention vendus pour quelques centaines d’euros contre plusieurs milliers d’euros en général pour les exosquelettes. Déployés notamment à La Poste et chez Amazon, ces dispositifs d’assistance offrent l’avantage d’être légers et discrets, à l’inverse des exosquelettes qui réclament en plus une formation ainsi qu’une sensibilisation des managers et des équipes pour favoriser leur acceptation. Sans compter les mesures d’adaptation nécessaires, sachant que chaque exosquelette doit être ajusté au poste et à son utilisateur.

Une norme sur les exosquelettes en préparation pour 2021

Ce texte fera des recommandations pour aider les entreprises utilisatrices et les industriels à concevoir des exosquelettes, les mettre en service et évaluer l’interaction avec l’opérateur.

Beaucoup d’utilisateurs et d’employeurs se posent la question de savoir quels sont les effets, les apports et les contraintes d’un port d’exosquelette sur l’opérateur. C’est pour les aider à répondre à cette question qu’un groupe d’experts scientifiques, fabricants d’exosquelettes et entreprises utilisatrices ont entrepris des discussions. Lesquelles ont abouti en 2017 à la publication par l’Afnor d’un Accord donnant des outils et repères méthodologiques pour l’évaluation. Ce document aide les entreprises utilisatrices à évaluer les interactions entre l’opérateur et leur exosquelette désigné en l’occurrence sous l’appellation « Dispositif d’assistance physique à contention de type exosquelette robotisé ou non ». Depuis, a été créée une plateforme d’expérimentation animée par l’Afnor. Consacrée à l’évaluation de l’interaction Homme-Exoquelette, elle réunit des entreprises utilisatrices ainsi que des experts, industriels, consultants, etc. Elle leur permet de partager leurs expériences et d’adresser des questions techniques aux experts. Par ailleurs, suite à la publication de l’Accord de 2017, un nouveau projet de norme a démarré proposant des recommandations ergonomiques pour l’utilisation de ces dispositifs en situation de travail. En cours de rédaction, sa publication est prévue en 2021, ce texte intéresse les étapes de conception des nouveaux dispositifs, leur mise en place et l’évaluation des appareils existants. « Ce document aide à identifier les effets de leur usage sur l’opérateur et son activité, quels que soient le constructeur du dispositif, le secteur d’activité de l’entreprise utilisatrice, sa taille etc. », indique Florence Saillet, chef de projet sénior en normalisation à l’Afnor. L’enjeu étant de réduire les risques en santé et sécurité au travail et d’éviter l’ajout de nouveaux risques par l’utilisation de ces dispositifs.

© Eliane Kan