Publié dans La Tribune le 17 avril 2019. A peine une personne reconnue handicapée sur trois se trouve en emploi. Pourtant, les mentalités évoluent et l’intégration des personnes singulières se développe. Tant mieux ! Car le besoin s’intensifie avec le handicap psychique qui touche une personne sur cinq.
« La loi du 10 juillet 1987 oblige les entreprises de plus de 20 salariés à employer des personnes en situation de handicap à hauteur de 6% de leurs effectifs, sous peine de devoir verser une compensation financière à l’Association nationale pour la gestion du fond d’insertion professionnelle des handicapés (Agefiph) », explique le professeur Eric Dugas, directeur de la recherche à l’École supérieure du professorat et de l’éducation à l’Université de Bordeaux et chargé de la mission handicap. On en est loin. A peine 35 % des personnes reconnues handicapées sont en emploi, selon une étude de la direction des statistiques du ministère du Travail (Dares) parue en mai 2017. Et lorsque les personnes reconnues handicapées travaillent, elles occupent le plus souvent un emploi d’ouvrier non qualifié.
« Est-ce que Bercy roupille ? », s’interroge Chantal Lesage de la Haye qui, malgré une surdité congénitale, a travaillé en cabinet d’avocats puis enseigné pendant 20 ans l’écoute des signaux faibles dans des écoles d’ingénieurs et à l’Université de Bordeaux avant d’être consultante en santé et qualité de vie au travail (SQVT). En effet, depuis 2014, les départements sont en charge de l’aide et du soutien aux personnes en situation de handicap. Mais leur trésorerie est à sec car Bercy n’envoie pas l’argent ! » Elle évoque le cas Kevin qui a décroché une embauche prévue pour le 1er avril 2018. Victoire, sachant que le chômage touche deux fois plus les personnes reconnues handicapées. Passage obligé, Kevin dépose son dossier le 22 novembre 2017 à la Maison départementale des personnes handicapées pour actualiser son taux d’invalidité (RTQH) afin de renouveler son appareillage adapté auprès du Groupement interprofessionnel régional pour la promotion de l’emploi des personnes handicapées (Girpeh). Lequel lui donne rendez-vous… le 23 mai ! Sans ses équipements, Kevin ne tient pas la cadence. Au bout de sa période d’essai, il retourne à la case chômage.
Heureusement, les mentalités évoluent. Certains employeurs font tout pour recaser leurs salariés devenus handicapés à la suite d’un accident. « En PME et TPE, de plus en plus d’employeurs demandent qu’on les accompagne pour recruter des personnes reconnues handicapées car ils en connaissent dans leur entourage, indique Mélanie Petrovic qui dirige le cabinet MP Consulting RH. Pour passer à l’acte, on définit le cahier des charges handicap du poste avec l’Agefiph qui dispose d’un catalogue d’équipements adaptés et en finance une partie (25 % à 60 %). » Ensuite, il est nécessaire de préparer les équipes qui vont accueillir la personne grâce à l’intervention d’un psychologue spécialisé. Cet expert saura, par exemple, mettre les collègues dans la situation de la personne accueillie ou tout simplement expliquer comment s’y prendre.
« Les personnes handicapées, qui passent leur vie à s’adapter, ont la niaque des marathoniens !, insiste Chantal Lesage de la Haye. Par ailleurs, elles apportent tout ce que le clonage ne donne pas : la créativité et cette flamme qu’on ne trouve pas dans la norme. » « Il faut regarder les personnes reconnues handicapées non pas comme « différentes » mais comme « singulières », reprend Eric Dugas qui a mis en place le Schéma directeur handicap en 2015 dans son université qui, sur 60 000 étudiants, accompagne 712 étudiants reconnus handicapés. Ce regard est d’autant plus pertinent que, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une personne sur cinq sera touchée par un handicap psychique (dépression sévère, burn-out, schizophrénie, bipolarité, TOC…). « Avec tous les psychotropes consommés en France, certaines personnes réputées performantes peuvent s’effondrer du jour au lendemain, avertit Chantal Villotta Germain, DRH à temps partagé. Les dirigeants doivent s’habituer envisager de gérer des risques psycho-sociaux parmi leurs collaborateurs – ou les leurs. Au même titre que le risque financier, industriel ou technologique. » Désormais, ces personnes peuvent être diagnostiquées, accompagnées et suivies dans des structures associatives adaptées. Nous sommes tous un peu « freak ».
Trois idées pour se préparer à la semaine
A lire : Le Livre de la jungle
Vous êtes jeunes, l’âme entrepreneuriale, en quête d’aventure ? Le monde des startups vous tend les bras. Mais avant de sauter le pas, une lecture du Livre de la jungle s’impose. Dans un environnement semé d’embûches, les deux auteurs nous délivrent des astuces et des conseils pour ne pas perdre pied, éviter les chausses- trappes et collaborer plus efficacement avec les équipes en place. Il nous révèle aussi les secrets et le savoir-faire des startups en matière de développement, croissance des ventes ou de gestion de la production. Nourri d’anecdotes et d’histoires d’entrepreneurs, ce manuel de survie a été co-rédigé par Annabelle Bignon et Younes Rharbaoui qui a accompagné pendant trois ans des startups dans leurs problèmes stratégiques.
Younes Rharbaoui et Annabelle Bignon. Le Livre de la Jungle. Dunod 2019
A voir : Victor et Célia
A 30 ans, la vie nous appartient. C’est d’ailleurs ce qui va pousser Victor et Célia à prendre leur destin en main en ouvrant leur propre salon de coiffure. Mais est-ce bien raisonnable de se lancer dans une telle aventure quand l’une a déjà une vie amoureuse et que tous deux ont les poches vides. Le réalisateur Pierre Jolivet qui a signé 17 films dont Les hommes du feu en 2017, s’inspire de l’expérience vécue par deux jeunes entrepreneurs. A l’instar des héros du film, ils ont dû surmonter maintes embûches financières et réglementaires pour ouvrir leur salon de coiffure. Le film Victor et Célia, interprété respectivement Arthur Dupont et Alice Belaïdi est une comédie romantique et sociale qui nous rappelle que quand on veut, on peut !
Victor et Célia, de Pierre Jolivet. 1H31. Avec Alice Belaïdi, Arthur Dupont, Bruno Bénabard, Bérangère Krief, Adrien Jolivet et Tessadi Mandi.
S’engager : dans la restauration du patrimoine
Amoureux des vieilles pierres à vos truelles ! A défaut de pouvoir participer au futur chantier de rénovation de la Cathédrale de Notre-Dame-de-Paris qui a brûlée le 15 avril dernier, il est toujours possible de prêter main forte aux associations qui aident à la restauration du patrimoine. A l’instar du Club du Vieux Manoir qui est connu pour organiser des chantiers dédiés aux 14-18 ans. Les plus âgés sont aussi les bienvenus sur deux de ses sites dont celui de l’ancienne Abbaye du Moncel dans l’Oise. Les bénévoles y sont accueillis les week-ends d’hiver mais aussi toute l’année lors de séjours plus longs. Selon l’âge de la personne, ses compétences, ses envies, elle pourra dès lors choisir entre des travaux de maçonnerie, de peinture ou de taille de pierre.
La résistance des juges prud’homaux face aux barèmes Macron est-elle justifiée ?
Par Myriam Delawari-de Gaudusson, associée au cabinet d’avocats De Gaulle Fleurance & Associés
Les « ordonnances Macron » du 22 septembre 2017 prévoyaient de modifier en profondeur le droit du travail français. D’une part, au niveau des relations collectives de travail avec, entre autres, la suppression du Comité d’entreprise et du CHSCT au profit du Comité social et économique (CSE). Et d’autre part, à celui des relations individuelles de travail avec une mesure phare : l’instauration de barèmes d’indemnités applicables en cas de contentieux devant le juge prud’homal. L’idée, c’est d’encadrer les indemnités accordées par les juges en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Un barème est ainsi fixé en fonction de l’ancienneté et de la taille de l’entreprise avec une grille qui indique les montants minimum et maximum que les conseillers prud’homaux peuvent accorder aux salariés injustement licenciés.
Ce « barème Macron » avait pour but de sécuriser la rupture des relations contractuelles aussi bien pour l’employeur que pour le salarié. En effet, l’employeur était sensé pouvoir anticiper les conséquences financières d’un licenciement requalifié par les juges comme étant sans cause réelle et sérieuse. Or, avant l’instauration du barème Macron, le calcul de ce risque était impossible. Du côté du salarié, le « barème Macron » devait harmoniser les décisions prud’homales afin d’offrir plus d’équité dans les indemnités perçues par les salariés au niveau national.
Cependant, six Conseils de prud’hommes (CPH) ont refusé d’appliquer en 2018 le « barème Macron » en invoquant des textes européens. Selon le CPH de Troyes, le barème violerait la Charte sociale européenne et la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Trop réducteur, il ne permettrait pas « aux juges d’apprécier dans leur globalité les situations individuelles des salariés injustement licenciés et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi. » Pour le CPH d’Amiens, l’indemnité accordée à un salarié injustement licencié « ne pourrait être considérée comme étant appropriée et réparatrice du licenciement sans cause réelle et sérieuse et ce, dans le respect de la convention n°158 de l’OIT. » Dans la même veine, le CPH de Lyon énonce que « l’indemnisation du salarié est évaluée à hauteur de son préjudice », suivi en ce sens par le CPH de Grenoble.
La réaction des juges prud’homaux est claire : l’instauration de ces barèmes ne leur permet plus d’apprécier, comme auparavant, le préjudice subi par les salariés au cas par cas. Ces derniers se retrouvent enclavés dans des barèmes trop restrictifs qui ne prennent pas suffisamment en compte la situation personnelle du salarié injustement licencié. De ce fait, ils en reviennent à la jurisprudence antérieure aux ordonnances Macron et indemnisent le salarié à hauteur de son préjudice. Les conseillers prud’homaux font ainsi fi de la législation française, pourtant validée par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel (CE, ord. réf., 7 déc. 2017, n° 415243 ; Cons. const., 21 mars 2018 n° 2018‐761 DC).
C’est à Paris que l’application du barème prud’homal fait désormais le plus de bruit puisqu’une conseillère pro-salarié affiliée CGT a unilatéralement invoqué, en mars 2019, la Charte européenne et la Convention n°158 de l’OIT alors qu’un accord existait lors du délibéré avec les trois autres conseillers prud’homaux. Dans ce contexte incertain et houleux, les praticiens et les chefs d’entreprise attendent avec impatience une position des plus hautes juridictions. Quand viendra-t-elle ?