Publié dans La Tribune le 10 avril 2019. Innovante au plan mondial, la loi de 2017 sur le devoir de vigilance impose aux multinationales de respecter les droits humains et environnementaux. Et de Les premiers plans de vigilance sont sortis en 2018. Dès cette année, elles sont susceptibles d’êtres mises en demeure en cas de manquement.
La tragédie du Rana Plazza au Bangladesh où 1 135 ouvriers, travaillant notamment pour Mango et Benetton, ont trouvé la mort en 2013 a eu un immense écho en France. Après d’intenses négociations avec le gouvernement et, notamment, avec la direction générale du Trésor, la loi sur le « devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre » a été adoptée le 27 mars 2017. Pionnier au niveau mondial, ce texte est gravé dans le marbre du Code de commerce avec l’insertion de l’article L. 225-102-4.-1. Résultat, les multinationales pourront être reconnues légalement responsables des dommages humains et environnementaux que peuvent provoquer leurs activités ainsi que celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs à l’étranger.
« Les sociétés de plus de 5 000 salariés en France ou de plus de 10 000 salariés dans le monde doivent publier la cartographie des risques pouvant porter atteintes aux droits humains, aux libertés fondamentales, à la santé et la sécurité des salariés et à l’environnement », explique Swann Bommier, chargé de plaidoyer pour la régulation des multinationales à l’ONG CCFD-Terres solidaires. Le devoir de vigilance prévoit aussi de publier le plan des actions à mener pour atténuer et prévenir les risques ainsi qu’un dispositif de suivi et d’évaluation des mesures engagées. Sans oublier les procédures régulières d’évaluation de la situation des filiales, des sous-traitants et des fournisseurs. Enfin, la loi impose un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou la réalisation des risques. L’année dernière, certaines entreprises ont rendu public les tout premiers « plan de vigilance ». D’autres n’ont rien fait.
C’est le constat que dresse un collectif d’organisations non gouvernementales (ONG) réunissant entre autres les Amis de la terre, Amnesty International, CCFD-Terre solidaire, le Collectif Éthique sur l’étiquette, Action Aide France-Peuples solidaires et Sherpa… Elles ont rédigé un rapport intitulé « Loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre : année 1 – Les entreprises doivent mieux faire » qui a été remis en février dernier à Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances. Premier constat : on est loin du compte.
« Le gouvernement n’a pas fourni la liste des entreprises concernées. CCFD-Terre solidaire et Sherpa ont recouru à des Data Scientists pour la déterminer, précise Swann Bommier. Pour l’heure, nous avons identifié 80 entreprises qui ont publié leurs plans que nous avons analysés. » Par ailleurs, aucune administration d’État, pas même le Trésor, ne centralise les plans ni ne contrôle l’application de la loi… Certains groupes, comme Teleperformance, emploient plus de 100 000 salariés dans le monde mais publient un plan de vigilance d’à peine deux pages. Chez d’autres, le plan est plus étoffé mais reste insuffisant en termes d’exhaustivité, de précision, d’implication des parties prenantes, de mise en place de mécanismes d’alerte efficaces et de propositions d’atténuation des risques. « Nous espérons que les entreprises vont s’améliorer d’année en année », insiste Juliette Renaud, chargée de campagne et de la régulation des multinationales chez les Amis de la Terre. D’autant que, en Europe, la loi française est en train de faire des émules. Notamment en Suisse, en Allemagne et aux Pays-Bas. « En Belgique, en Italie, en Espagne et au Luxembourg, les campagnes se multiplient pour les multinationales respectent les droits humains et environnementaux », souligne Swann Bommier.
A l’approche des élections européennes, la négligence à la fois des entreprises et de l’État pourra-t-elle tenir encore bien longtemps ? Pas sûr. « A partir de cette année, les entreprises sont susceptibles de recevoir des mises en demeure si elles n’ont pas publié leur plan de vigilance ou si ce dernier n’est pas assez précis. Au bout de trois mois, un juge pourra leur imposer une astreinte financière quotidienne pour le produire », fait valoir Juliette Renaud. Face à l’inaction de l’État, les ONG seront en mesure d’exercer leur devoir d’alerte et de lancer des actions en justice. Jusqu’où en auront-elles les moyens ?
Trois idées pour se préparer à la semaine
A lire : Peut-on diriger sans ego ?
Savoir déléguer et se mettre au service de ses équipes est stratégique pour la réussite de l’entreprise comme le démontre l’ouvrage Leadership sans égo. Rédigé sous la forme d’un abécédaire, ce livre a été co-écrit par trois auteurs. A commencer par Bob Davids, un Serial entrepreneur américain, Brian M. Carney une autre dirigeant d’entreprise, et Isaac Getz, enseignant à l’ESCP Europe. Ce dernier est connu pour son engagement en faveur des entreprises libérées. Le mouvement existe depuis une vingtaine d’années en France où plus de 300 structures accordent à leurs salariés la liberté et la responsabilité de mener des actions afin de réaliser la vision de l’entreprise. A charge, pour les managers, de savoir les coacher et d’abandonner leur égo.
Isaac Getz, Brian M.Carney et Robert Davids. Leadership sans égo. Fayard. 2019. 16 euros.
A voir : Working Woman
Orna travaille dur afin de subvenir aux besoins de sa famille. Brillante, elle est rapidement promue par son patron (Menashe Noy) dont les sollicitations se font de plus en plus intrusives et déplacées. Incarnée par Liron Ben Shlush, Orna prend sur elle. Elle garde le silence pour ne pas inquiéter son mari. Un beau jour, elle n’en peut plus. Elle décide de changer les choses pour sa famille, pour elle et pour sa dignité. Le film israélien Working Woman part de l’expérience de harcèlement sexuel vécue par une femme venue chez Michal Aviad, la réalisatrice : « La plupart du temps, cela prenait la forme d’une menace constante et tacite. Elle avait besoin de ce travail et croyait qu’elle pourrait encaisser, jusqu’à ce qu’elle fasse une dépression nerveuse. »
Working Woman, de Michal Aviad. Israël. 93 mn. Avec Liron Ben Shlush, Menashe Noy et Oshri Cohen.
S’engager : Aider à collecter des produits pour les démunis
A vos caddys ! Les 17 et 18 mai prochains, l’association La Mie de Pain lancera une collecte de produits alimentaires et d’hygiène à destination de ses résidents et autres bénéficiaires de son action caritative. Cet événement aura lieu à Paris dans une dizaine de magasins partenaires de l’opération. Laquelle se tiendra dans le 13ème arrondissement. Pour mener à bien cette campagne, qui s’inscrit dans le cadre de la collecte nationale des banques alimentaires, l’association recherche des bénévoles. Ces derniers s’engagent à donner deux heures de leur temps durant une de ces deux journées. Il s’agira, pour eux, de collecter à la sortie des caisses des magasins les boîtes de lait pour bébé, des pâtes, du dentifrices et autres dons offerts par les clients des magasins.
« Marque Employeur » versus « Image Employeur »
Par Francis Portogallo, conférencier en intelligence artificielle et ressources humaines.
Apparue lors de la dépression de 1993 et des vagues de licenciements qui donnèrent naissance à la génération d’employés Kleenex, la « marque employeur » veut calmer le cynisme. Celui des salariés en réponse à l’amnésie des entreprises qui se sont remises à embaucher. Avec les media sociaux, les employeurs ont dû faire leur « coming-out ». Développer la marque employeur va bien au-delà du périmètre des ressources humaines. Ce concept rejoint la dimension de « l’inconscient collectif » de l’entreprise qui se rattache à sa gouvernance.
Dans le brouhaha du Web, cultiver la marque employeur est un vœu pieux, tant les publics sont disparates et les attentes nombreuses. A la différence du schéma Produit/Consommateur, l’association Entreprise/Employé repose sur un paysage contraint – l’insécurité de l’emploi – et sur un rapport de force mal maîtrisé. Or une marque est un signe global unique, particulièrement bien défini et identifiable. Du coup, plaquer le concept marketing de marque aux RH est une gageure.
Mieux vaudrait alors utiliser le concept d’image, composant partiel mais non moins essentiel de la marque. Une image est une représentation visuelle voire mentale. Elle peut être naturelle ou artificielle, visuelle ou non, tangible ou conceptuelle, elle peut entretenir un rapport de ressemblance directe avec son modèle ou au contraire y être liée par un rapport plus symbolique. C’est un signe spécifique qui impose au marketing de descendre du piédestal de la marque. L’enjeu, c’est alors de chercher le futur collaborateur sur les bases de l’image locale plutôt que de rester crispé sur le potentiel associé à la marque.
En d’autres termes, travailler sur l’image employeur consiste non pas à s’adresser à un public large mais au contraire à des individus ou des groupes ciblés. Parallèlement au marketing, la DRH doit mettre l’intégration au groupe au centre de son analyse. Comment communiquer sur « les » images employeur ? Chacune d’elles visera à séduire un nouveau collaborateur et l’inciter à rejoindre la tribu, le conforter dans l’idée qu’il est partie prenante et que son action fait évoluer la collectivité. Ce qui va le convaincre de rester au sein de la tribu et parfois à évangéliser.
Il est difficile de ne pas se positionner aujourd’hui sur ce terrain de la communication, tant l’impact des media sociaux est puissant. Et lui donner un sens prendra sa vraie valeur si l’on dispose d’indicateurs de sa performance. Quelles actions sont plus à même d’attirer un nouveau membre de la tribu ? Quelle organisation le conforte qu’il est totalement partie prenante ? Quelles sont les signes qui vont favoriser à ses yeux une offre plutôt qu’une autre ? Qu’est qui va le mettre en situation de renégocier ses attentes plutôt que de céder sans ambages aux sirènes de la concurrence ?
Ces réponses ne se trouvent pas dans les techniques classiques du marketing mais dans de nouvelles approches qui vont éclore. Celles des techniques d’intelligence artificielle associées à l’analyse des comportements professionnels. Le travail sur l’image employeur consistera donc à se redéfinir en tribu et à mettre en place une organisation RH permettant d’identifier les comportements qui, au fil de l’eau, anticipent les situations pour marier les attentes des uns et celles de la tribu. En fait, on rejoue l’histoire qui nous a fait passer du primaire au social.
©Erick Haehnsen