L'Agence de presse de l'innovation

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©Unsplash/Kate Sade

Le mot de la semaine : Disruption

Publié dans La Tribune le 19 février 2019. Brutale, destructrice, imprévisible, irréversible… la disruption balaie les positions établies et porte les espoirs de l’innovation. Si tout le monde n’est pas Steve Jobs ou Elon Musk, l’intelligence collective permet à chacun d’être plus intelligent à plusieurs pour tout disrupter à son tour.

« Nous sommes lundi matin. Vous arrivez au bureau et l’annonce vient de tomber, tous les médias du monde entier en parlent : Amazon se lance dans votre business. Ils promettent de faire votre produit ou service en mieux, en beaucoup moins cher et avec une expérience utilisateur exceptionnelle. Traduction : vous n’avez rien vu venir et vous vous êtes fait disrupter. » Tel est le scénario typique qui peut arriver à chaque dirigeant d’entreprise, explique Stéphane Mallard dans son livre Disruption, préparez-vous à changer de monde (Dunod) paru au printemps dernier. La disruption est un phénomène à la fois brutal, destructeur, irréversible et porteur d’espoir. A l’instar de Steve Jobs lorsqu’il a lancé l’iPhone qui a définitivement relégué le téléphone mobile aux oubliettes pour inventer le monde des apps et des objets connectés. La disruption, c’est aussi AirBnB qui ébranle l’industrie hôtelière. Ou Uber qui déstabilise la rente des taxis à licence.

La disruption peut également remodeler des filières industrielles entières. Il y a treize ans, le gratin mondial de l’industrie spatiale a vu débarquer un jeunot qui avait fortune dans Internet. En jean et baskets, il leur a balancé en pleine figure : « Salut à tous, je m’appelle Elon Musk. Je suis le fondateur de SpaceX et dans cinq ans vous êtes tous morts. » Bien sûr, personne ne l’a pris au sérieux avec son projet de fusée Low Cost capable de réatterrir verticalement. Après avoir disrupté le marché automobile, Elon Musk donne aujourd’hui des sueurs froides aux patrons d’Arianespace, United Launch Alliance, Proton, Soyouz qui, pourtant, jouissaient de positions bien établies.

A l’heure où l’innovation se shoote à l’intelligence artificielle, à la micro-robotique et aux nanotechnologies, d’autres visionnaires comme Elon Musk peuvent débouler tel un raz-de-marée pour disrupter les marchés. Cependant, il ne suffit pas d’avoir LA bonne idée. Non. Il faut tout changer. Faire table rase des idées du passé, des modèles d’organisation, des modes de travail, des mentalités, des valeurs ! Bref, allumer les boosters de la fusée innovation réclame de « changer le logiciel » des dirigeants d’entreprise et de leurs DRH. « Il faut s’imaginer déjà mort pour penser autrement son activité et se demander où sera la valeur dans le futur », reprend Stéphane Mallard. Et de citer Reed Hastings, le PDG de Netflix qui déclarait en 2016 que le futur du divertissement serait peut-être une pilule hallucinogène capable de nous emmener dans d’autres mondes sa danger ni effet secondaire. Passer du cinéma à une drogue, fallait y penser !

Problème : tout le monde n’est pas Steve Jobs ou Elon Musk. Est-ce à dire que tous les autres – nous tous – n’ont plus qu’à mourir, certains de se faire éjecter du marché par un disrupteur ou un robot ? Face à ces grands génies, mieux vaut miser sur l’intelligence collective. L’idée qui générera une forte valeur sortira « à partir de mes idées et de celles des autres, pour en faire émerger d’autres qu’aucun de nous n’aurait eues seul et qui se révéleront bien meilleures », explique Jean-Bernard Rivaton, co-président de l’association Vision 2021, en charge de diffuser l’intelligence collective en France et en Europe. Au plan opérationnel, « il serait souhaitable que le CDO, qu’il soit Chief Digital Officer ou Chief Data Officer, devienne un Chief Transformation Officer (CTO), un responsable transversal de la transformation, expliquait à La Tribune l’été dernier Axelle Lemaire, associée à l’agence française de Roland Berger. Cette volonté nécessite également d’être portée et incarnée par le dirigeant qui affiche ainsi la volonté de ne pas isoler les stratégies d’innovation dans un coin. » Par ailleurs, ce portage collectif a besoin d’être nourri par les processus de l’intelligence collective qui s’appuient sur l’ensemble des salariés. Forums ouverts, codéveloppement, réunions déléguées, plateformes d’idéation… le point commun à toutes ces méthodes et techniques, c’est de casser les silos entre les services (RH, R&D, marketing, production, logistique…), développer la transdisciplinarité, remettre en cause les lourdeurs de la hiérarchie… Tout un programme.

©Lardon

A lire : La comédie (in)humaine

Dénoncer les maux du management (présentéisme, bore-out, burn-out …) en moins de 200 pages, c’est l’ambition de La Comédie (in)humaine (Éditions de l’Observatoire). Les auteurs, Nicolas Bouzou et Julia de Funès font ressortir l’inadéquation entre les attentes des collaborateurs et ce qui leur est proposé ou permis par leurs managers. Maux qui conduisent dans le meilleur des cas à l’autoéviction des talents des entreprises et dans le pire des cas à des dépressions ou des surmenages. Pour les auteurs, l’entreprise de demain sera un lieu d’innovation, de performance et de progrès si (et seulement si) les collaborateurs ont la possibilité d’être plus autonomes et responsabilisés dans leur quotidien.

A voir : Salon international de l’agriculture

Des poules, des lapins, des oies… il y a même des canards. Allez au 56ème Salon international de l’agriculture qui ouvrira ses portes du 23 février au 3 mars 2019 au parc des expositions de la Porte de Versailles à Paris. Cette année, l’accent sera mis sur les nouveaux modèles agronomiques que les agriculteurs sont en train d’inventer. Venez découvrir sur le stand Bleu Blanc Cœur le projet Sésame porté Cœur d’Essonne Agglomération, le Groupe SOS et Fermes d’Avenir qui montre comment un territoire s’engage pour produire, de la graine à l’assiette, une alimentation saine, cultivée localement et accessible à tous, intégrant tous les acteurs de la chaîne de valeur. Tout faire localement, c’est aussi réduire drastiquement les consommations énergétiques du secteur agricole.

S’engager : Donner de son temps dans une autre structure

Responsable de laboratoire de biotechnologies chez Chimex (L’Oréal) Jean-Jacques Schoonjans expérimente le temps partagé à hauteur d’une journée par semaine chez Spiris, une start-up qui produit une micro-algue aux puissantes propriétés nutritives, la spiruline. « Une bouffée d’oxygène », témoigne ce salarié aux 32 ans d’expérience. Ce dispositif est encadré par Vendredi, une association fondée en 2014, qui se donne comme mission de répondre à la quête de sens au travail. Le principe : offrir la possibilité aux salariés de partager leur temps entre leur entreprise et une association ou une start-up sociale, tout en étant rémunéré à 100 % par leur entreprise. Une façon de combiner carrière et engagement. Et d’avoir des retours d’expérience inédits.

Le glyphosate sera-t-il indemnisé comme l’amiante ? Par Myriam Delawari-de Gaudusson, associée au cabinet d’avocats De Gaulle Fleurance & Associés

Le glyphosate est souvent comparé à l’amiante en tant que produit nocif pour la santé des travailleurs qui les manipulent, voire pour leurs familles. Des actions contentieuses sont intentées aux fins de reconnaissance du caractère pathogène de cette molécule et de ses produits dérivés. Mais elles se heurtent d’une part aux controverses scientifiques sur sa dangerosité. Et d’autre part à l’absence de cadre juridique précis autorisant les juridictions à traiter efficacement les demandes d’indemnisation formées par les travailleurs et leurs familles.

A cet égard, le cas du jardinier Dewayne Johnson pourrait ouvrir la voie à bon nombre d’actions en demande d’indemnisation car il a obtenu d’une juridiction de San Francisco des dommages-intérêts à hauteur de 290 millions de dollars sur le fondement de l’effet « potentiellement cancérigène » du glyphosate contenu dans l’herbicide Roundup et sa version professionnelle RangerPro, produits et commercialisés selon les termes de la décision, avec « malveillance » par Monsento. Contestant le bien-fondé de cette décision, Monsanto a formé un appel estimant que : « 800 études scientifiques et les conclusions de l’agence américaine de la protection de l’environnement (EPA), des instituts nationaux pour la santé et des autres autorités de régulation à travers le monde soutiennent que le glyphosate ne cause pas de cancer. »

On touche ici du doigt la difficulté rencontrée dans ce type de dossier : l’absence d’une reconnaissance scientifique incontestée du lien entre glyphosate et cancer. Malgré de fortes suspicions, ce lien de causalité est contesté par les lobbys. L’enjeu est de taille car plusieurs milliers de procédures dans le monde sont en cours à l’encontre de Mosanto. En France, une telle condamnation serait-elle possible ? Une voie est envisageable sur le fondement des actions relatives à l’amiante. Avec une différence de taille : l’amiante est officiellement reconnu en France comme substance hautement nocive pour la santé des travailleurs. Les pathologies qui en découlent figurent donc sur le tableau des maladies professionnelles. Rappelons qu’une maladie est dite « professionnelle » si elle est la conséquence directe de l’exposition d’un travailleur à un risque chimique, biologique ou résulte des conditions dans lesquelles il exerce son activité professionnelle. Ces dernières années, de nombreuses victimes de l’amiante ont engagé des procédures contre les industriels responsables de négligence d’information et de protection sur le fondement de la faute inexcusable définie par l’article L.452-1 du Code de la sécurité sociale.

La chambre sociale de la Cour de cassation a précisé la notion de faute inexcusable par une série d’arrêts rendus le 28 février 2002 (n°99-18.389, n°99-18.390, n° 99-21-255, n°99-17.201), et selon lesquels : « En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, […] le manquement de l’employeur à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L.452-1 du Code de la sécurité sociale. » Pour que cette faute soit établie, l’employeur doit avoir conscience du danger alors qu’il ne prend pas les mesures nécessaires pour s’en protéger. Cette simplification de la reconnaissance de la faute inexcusable entraîne de lourdes conséquences pour les employeurs. En effet, le salarié pourra obtenir une réparation intégrale ainsi que l’indemnisation de tous ses préjudices et une majoration de sa rente en cas d’invalidité (article L.452-2 du Code de la sécurité sociale).

Le même raisonnement serait envisageable pour le glyphosate à condition que son caractère pathogène soit reconnu. En attendant une position claire du législateur sur ce point, il ne peut être conseillé aux employeurs que de respecter ce principe. Les pathologies étant, comme pour l’amiante, susceptibles d’apparaître plusieurs années après l’exposition au produit.

©Erick Haehnsen