Publié dans La Tribune le 9 février 2019. Malgré sa puissance, le chef d’entreprise ne peut réussir seul. Il doit s’appuyer sur un encadrement qui ne se contente plus de faire faire mais doit donner envie de faire.
Depuis bientôt quatorze semaines, les gilets jaunes défient l’autorité du président de la République. Malgré les mains arrachées par les grenades GLI-F1 et les yeux blessés par les lanceurs de balles de défense (LBD) chez les manifestants. Malgré la loi anti-casseurs tout juste adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale. Et malgré la volonté jupitérienne d’Emmanuel Macron de créer un « conseil de déontologie de la presse ». Dans ces laboratoires à idées que sont les entreprises, les débats sur l’autorité vont aussi bon train. Avec leurs spécificités.
« L’autorité du chef d’entreprise consiste à assurer la croissance économique et la stabilité de l’emploi en vue de la pérennisation de l’entreprise », rappelle Myriam Delawari-de Gaudusson, associée au cabinet d’avocats De Gaulle Fleurance & Associés. Quelque peu humaniste, cette vision est largement partagée. Et si le capitaine d’industrie échoue, il est rapidement débarqué. Une chose est sûre : il ne peut réussir seul. « Il doit maîtriser sa chaîne de commandement. Et éviter que les « petits chefs » ne polluent ses relations avec les salariés ou les clients », reprend l’avocate d’affaires. Encore faut-il le savoir. D’où l’intérêt des corps intermédiaires comme les représentants du personnel ou le nouveau conseil social et économique (CSE). Lequel « permet d’exercer un droit d’alerte auprès de la direction sans passer par la hiérarchie. Notamment pour dénoncer les cas de harcèlement », précise Myriam Delawari-de Gaudusson.
D’un côté, après dix ans de crise économique, assortie de ses plans massifs de licenciement, et de l’autre, avec plusieurs révolutions numériques dont celle des réseaux sociaux sur smartphone, les excès de l’autorité passent de plus en plus mal. Le chantage à l’emploi, le harcèlement (sexuel ou moral), l’explosion des cas de burn-out, les suicides… les salariés n’en peuvent plus. D’autant que les choses peuvent se retourner. Non seulement la vidéo d’un abus peut instantanément devenir virale sur les réseaux sociaux. Mais surtout « dans la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave, le jour où l’esclave s’en va, le maître cesse d’exister », souligne Flora Bernard, présidente de Thaé, une agence de philosophie.
D’où l’intérêt de former l’encadrement intermédiaire aux nouvelles techniques de management. Objectif : déceler les situations à risque et surtout désamorcer les conflits naissants. Dans le transport routier de marchandises, ce besoin est crucial en raison de la pénurie de conducteurs qui sévit dans tout le secteur. Chez Le Calvez, des formations spécifiques ont été élaborées avec des organismes comme Aftral ou APC Management à destination des exploitants. « Ils apprennent à adapter leur langage, à avoir le ton juste pour donner au conducteur un ordre de mission par téléphone, explique une des DRH du groupe. Ils en profitent pour l’interroger sur ce qui va ou ne va pas. Et pour se montrer sensibles au bien-être du conducteur. Faire participer les exploitants à la fidélisation des conducteurs est devenu un enjeu fondamental pour nos entreprises. »
La difficulté de fidéliser les collaborateurs s’intensifie avec les générations Y et Z, nées un smartphone à la main. « On atteint la limite entre autorité et pouvoir lorsque ces jeunes partent et que l’entreprise ne parvient plus à en recruter de nouveaux, fait valoir Marion Genaivre, associé chez Thaé qui est intervenue dans une agence bancaire affectée par ce problème. Ils ont besoin d’une culture managériale qui permet de prendre des décisions plus collectives, plus collégiales. » Bref, finie l’autorité qui consiste àfaire faire. Place à celle qui donne envie de faire, qui fait grandir. Ce n’est pas tout : la remise en cause de l’autorité prend aussi sa source dans l’intelligence artificielle. Un bon nombre de directions support, dont les DHR, se sentent alors sur un siège éjectable. « La question, c’est de savoir ce qu’on voudra conserver chez l’Homme », interroge Flora Bernard. A la machine à café dans les entreprises ou sur les ronds-points des gilets jaunes, les discussions sur l’autorité ne sont pas près de s’arrêter.
A lire : 97 exercices décalés pour prendre la parole
Qui n’a jamais bégayé ou bredouillé lors d’une prise de parole en public ? Réunions, conférence, présentation commerciale… devenir orateur s’apprend. A condition de faire ses gammes. « Améliorer sa prise de parole conduit à développer son leadership », estime la franco-britannique Chilina Hills co-auteure avec la belge Geneviève Smal de l’ouvrage 97 exercices décalés pour prendre la parole n’importe où, n’importe quand, avec (presque) n’importe qui. Ces deux coachs, formatrices, auteures et conférencières ont sorti leur livre (17 cm x 21 cm, 288 pages) en auto-édition surAmazon. Au programme : « La voix : ne plus endormir l’auditoire, éviter la “voix de canard”, se faire entendre… » ; « Choisir les bons mots : ne plus foirer sa présentation en deux secondes, mots qui passent mots qui cassent… »
A voir : Green Book
« Désolé, vous ne pouvez pas dîner ici », explique le directeur d’un restaurant où se réunissent les notables locaux à l’artiste noir qui va donner son concert. Rien n’y fera. Le film Green Book, de Peter Farrely, retrace l’histoire véridique du pianiste Don Shirley (Mahershala Ali) qui, avec son chauffeur Tony Lip (Viggo Mortensen), voyage pour une tournée de concerts dans le sud profond de l’Amérique ségrégationniste des années 60. Cultivé, voire précieux, le musicien doit utiliser le Green Book, le guide de voyage des hôtels et restaurants pour personnes de couleur. Il montre aussi comment un patron noir emploie un rustre blanc, raciste et bagarreur du Bronx. Peu à peu, la glace se brise entre ces deux hommes qui tentent de faire évoluer les mentalités.
S’engager : Soutenir les agriculteurs en passant un week-end à la ferme
Grâce à la plateforme Oh la vache ! (ohlavache.org), on peut faire d’une pierre deux coups : se mettre au vert le temps d’une journée (160 euros en moyenne) ou d’un week-end (250 à 320 euros) et soutenir les agriculteurs qui vous reçoivent. Plus qu’une simple visite ou qu’un hébergement touristique à la ferme, il s’agit d’une véritable immersion. En effet, on est invité à mettre la main à la pâte : aider à nourrir les animaux, traire des chèvres, à ramasser les œufs, fabriquer des fromages, tailler la vigne, maraîcher en permaculture, mettre en bouteille le vin de noix, récolter du miel… De quoi découvrir le travail quotidien des agriculteurs et se défaire de certaines idées reçues. La plupart des exploitants prônent une agriculture bio. L’important, c’est surtout la rencontre, l’échange.
Écouter les signaux faibles pour éviter les crises sociales par Jehanne Essa, préventrice et enseignante vacataire en innovation sociale à l’Université de Bordeaux.
Jean-Bernard se frotte les mains : les ventes de sa nouvelle ligne de produits s’envolent. Dans le cockpit de sa PME, il veille sur la cadence de la production et des expéditions. Comme le lait sur le feu ! Mais, avec le succès commercial, les réclamations des clients se multiplient… Comme les actionnaires ont refusé de remettre au pot, les marges sont serrées. Pas question d’embaucher. Même les départs en retraite ne sont pas remplacés.
A quelques semaines du pic d’activité, les trente ouvriers de la PME n’en peuvent plus : manque de reconnaissance, sous-valorisation de leurs heures supplémentaires, journées à rallonge… Leurs conditions de travail sont trop dures. A cela s’ajoutent les bugs dus au changement de l’outil informatique. Ainsi que les pannes machines à répétition qui bloquent la chaîne de production. Bref, les collaborateurs de l’atelier de fabrication et l’entrepôt déposent un préavis de grève. Jean-Bernard est décontenancé : le nez sur le guidon, il n’avait rien vu venir. Comment en est-il arrivé à cette crise sociale revendicative ?
De fait, la crise couvait la zone aveugle de Jean-Bernard. Son tableau de pilotage ne détectait aucun des signaux faibles précurseurs de la crise. Pourtant, de nombreux indicateurs entourent précieusement le quotidien du chef d’entreprise : le bonjour morose des salariés, l’irritabilité des managers, l’augmentation anormale des absences ou des adhésions syndicales… Peu ou pas identifiés par la direction, ces indicateurs révèlent pourtant la santé de l’organisation. Tous les secteurs d’activité sont concernés. D’ailleurs, un tel processus est peut-être déjà en phase de maturité dans votre entreprise…
Ce mécanisme démarre par la déconnexion entre les contraintes quotidiennes des opérateurs et la direction. Au fil du temps, le nombre de zones aveugles s’accroît. Et la confiance mutuelle s’effrite. C’est typique d’une organisation en silos : échanges limités, mauvaise circulation des informations, services cloisonnés. Il n’y a plus d’espace et de temps pour parler du travail et régler les problèmes concrets. Alors, les irritants s’accumulent et empêchent l’ensemble des strates de travailler de façon fluide. Chacun met son énergie à trouver des systèmes D dans une urgence chronique. Les ouvriers et les cadres s’adaptent à l’activité pour maintenir le cap. Comme ils réussissent, ces difficultés n’apparaissent pas dans les chiffres du tableau de pilotage.
Face à la crise sociale, mieux vaut faire intervenir un tiers qui va faciliter la médiation. L’objectif est d’établir un diagnostic précis du contexte et de ses conséquences sur le travail et les équipes. Un plan d’action co-construit avec les salariés désamorcera la crise et aidera à entrer dans une nouvelle dynamique. L’important, c’est de miser avant tout sur le préventif. Ce qui réclame deux choses. Tout d’abord, de tisser un lien constant avec le terrain au travers d’échanges informels avec les collaborateurs.
Cette connexion permanente avec les services fournit un précieux feed-back concernant le déploiement de la stratégie du chef d’entreprise. La seconde action porte sur une communication transparente avec les équipes. Cela revient à exposer la stratégie globale ainsi que les phases de sa mise en œuvre opérationnelle. Sans omettre de parler des problèmes et difficultés. Et lorsque l’entreprise manque de moyens pour les résoudre, les salariés sont susceptibles d’avancer des solutions à moindre coûts. Car ces derniers n’attendent qu’une chose : être responsabilisés, comme le rapporte une étude d’Odoxa de 2018 : 63% des salariés européens rêvent d’un dialogue social constructif. Mais seulement 27% le vivent. Tandis que 53% connaissent un dialogue social conflictuel. Pourtant, à peine 10% le souhaitent revendicatif. Morale de l’histoire : détecter les signaux faibles avant-coureurs d’une crise peut être rentable.