Publié dans La Tribune le 5 février 2019. Qu’il s’agisse de rallonger ses journées pour bien se faire voir ou de simuler la surcharge de travail, le présentéisme traduit un dysfonctionnement de l’entreprise. Armes fatales : le dialogue et le plaisir au travail.
Chaque matin, Hermine arrive au bureau avant son patron. Chaque soir, elle en repart après lui. Histoire d’être sûre de bien se faire voir. Dans un rite presque sacrificiel, elle met sa famille entre parenthèse. La boule au ventre, elle redoute la précarité comme la peste. Elle cherche à se maintenir dans son job. Voire à être promue. Bref, Hermine donne dans le présentéisme. Un soir, épuisée, sous pression de sa famille qu’elle délaisse, elle s’endort au volant… Elle ne s’en sort pas trop mal : une clavicule cassée.
9 Français sur 10 viennent travailler même malades
Hermine n’est pas seule à être sur-présente. Apprenti en gestion de projets en alternance pour son master 2, Arnaud subit la pression de ses collègues : « Ici, on ne compte pas ses heures. » Pour s’intégrer dans l’équipe, il fait passer l’entreprise avant sa vie privée, seul moyen pour montrer qu’on peut compter sur lui. Même malade. Arnaud rejoint ainsi le bataillon 93,5 % de Français qui, selon une enquête de l’Institut OnePoll pour Seton parue en janvier dernier, se rendent au travail alors ils sont souffrants. Et ce au risque de voir leur état de santé empirer pour plus d’un sondé sur deux. Parmi les raisons invoquées : les responsabilités pour 25%, la solidarité envers les collègues (19%), la crainte de perdre une journée de salaire ou de mettre leur emploi en péril (17%), ou encore le sentiment de culpabilité (13%).
Précarité virtuelle intégrée
« Cette forme de présentéisme traduit une grande « précarité virtuelle intégrée » : le collaborateur peut ne pas être, pour sa part, en situation de précarité mais il la redoute car il la constate chez d’autres personnes de son entourage. Du coup, il l’intègre », explique Jean-Claude Delgènes, président fondateur du groupe Technologia, spécialisé dans la transformation managériale des entreprises.
Ni encadré, ni mesuré, ni comptabilisé
Dans le cas des Français qui viennent travailler en état grippal ou en début d’épuisement, les ennuis peuvent voler en escadrille : « Cela démarre par une personne qui craque dans son service. Ses collègues sont obligés de prendre sa charge de travail sur leurs épaules. Comme tout le monde travaille en flux tendu, cela aboutit à une crise sociale, décrit Jehanne Essa, préventrice, membre du réseau Santé et Qualité de vie au travail de Nouvelle-Aquitaine. Cette situation dégradée va persister. Un jour, c’est l’ensemble de la chaîne de valeur qui va s’effondrer tandis que la direction générale n’en aura rien vu venir. » Autre forme de présentéisme : « Faire mine de travailler, d’être occupé, d’être toujours au taquet… sans réellement accomplir les tâches escomptées, décortique Christophe Labattut, consultant indépendant, expert management et en santé au travail. C’ette forme de démotivation est une pure perte de productivité. A l’inverse de l’absentéisme qui se voit, le présentéisme est insidieux : il n’est ni encadré, ni mesuré, ni comptabilisé. »
Être acteur de son bien-être
Bien sûr, le présentéisme n’est pas une fatalité. A titre individuel, chacun peut être acteur de son bien-être en apprenant à hiérarchiser ses priorités : tout n’est pas urgent. « Il est essentiel de prendre du recul et oser remonter les problèmes organisationnels au manager ou la direction en veillant à proposer des solutions, conseille Jehanne Essa. Ensuite, le directeur (ou le manager) doit montrer qu’il prend soin de sa propre santé, de sa forme, de son équilibre vie pro-vie perso. Cette culture deviendra collective en se répercutant en cascade vers les managers et les salariés qui se sentiront alors autorisés à en faire de même. » A un niveau collectif, l’entreprise peut aussi créer des espaces de sport ou organiser des activités volontaires d’échauffement physiques le matin. Il serait judicieux que les hauts cadres y participent également.
Autre aspect important : « Prendre le temps nécessaire pour discuter de la qualité du travail et de la répartition des charges. Souvent, les solutions proviennent des personnes intéressées, estime Jean-Claude Delgènes. De cette manière, il est plus facile de mesurer l’écart entre le travail prescrit et le travail accompli. » Alors vous êtes encore présent ?
A lire : « Disruption »
Nous entrons dans une période de disruption à la fois massive, rapide, violente et inéluctable. « Les entreprises qui ne sauront pas comment créer la valeur de demain seront balayées par cette vague car leurs patrons sont des gestionnaires salariés et non pas des entrepreneurs visionnaires », analyse Stéphane Mallard, auteur du livre « Disruption : préparez-vous à changer de monde » (Dunod). Intelligence artificielle, fin du salariat, inversion de tous les repères, humanité augmentée… dans cette période incroyablement féconde et porteuse d’espoirs, tout est « disruptable » : les entreprises, leurs services, leurs modèles d’organisation… mais aussi notre manière de penser, communiquer, travailler, nos valeurs… jusqu’à notre propre corps. Assorti de quantités d’exemples concret, cet ouvrage nous secoue comme un cocotier. Pour notre plus grand bien !
A voir : Les Invisibles
« On m’a dit que vous aviez des mains en or, que vous pouviez tout réparer. Je vous prends pour deux mois. Vous pouvez commencer lundi à 8h00 ? » demande un patron à une candidate de 56 ans, qui vit à la rue. « Faut que j’vous dise : ma formation, je l’ai faite à la prison de Loos », répond la SDF. « Merci pour la franchise. A lundi. » Le film Les Invisibles de Louis-Julien Petit nous fait découvrir ces femmes SDF (40 % des sans domiciles fixes) qui se rendent invisibles pour se protéger de la violence, et ces travailleuses sociales (Audrey Lamy, Corinne Masiero, Noémie Lvovsky) qui les accompagnent pour qu’elles réintègrent. Complexes, émouvantes, drôles, les premières jouent leur propre rôle dans la vraie vie. Peut-être les verrez-vous lors d’un prochain entretien d’embauche ?
S’engager : Une jonquille contre le cancer
A l’approche du printemps, il est temps de lever le nez de la Bottom Line. Pourquoi ne pas participer à un événement sportif mobilisateur pour l’entreprise ? Moyennant 2 000 euros dont 60 % sont déductibles, l’institut Curie vous propose, ainsi qu’à vos collaborateurs qui le souhaitent, de pédaler du 12 au 15 mars, pour soutenir la recherche sur le cancer. Durant deux heures (en continu ou par tranches de 30 minutes sur les trois jours), l’opération « Une jonquille Curie contre le cancer » met une douzaine de vélos TechnoGym à la disposition des entreprises sur le Parvis de la Défense. Le défi : tenir la plus longue distance possible à une moyenne de 25 km/h. L’occasion de faire coup double : renforcer l’esprit d’équipe et de sensibiliser les collaborateurs à la prévention contre le cancer.
L’IA pour les RH et le management, une question de personnes
L’intelligence artificielle (IA) joue la vedette des conférences, journaux et media. Mais qu’en est-il d’un point de vue strictement opérationnel dans les entreprises ? Sous peine que ses concurrents lui grillent la politesse et l’éjectent du marché, le chef d’entreprise peut-il dès à présent instiller cette technologie à la fois prometteuse et disruptive dans son organisation ?
En fait, les produits, services ou applications métier qui se dopent à l’IA recourent le plus souvent à l’apprentissage automatique (Machine Learning) ou à l’apprentissage profond (Deep Learning) essentiellement pour la reconnaissance de formes (images, sons, signaux, séries temporelles ou linguistiques…). Le profilage en fait partie. En le couplant à des techniques prédictives, l’IA anime alors les moteurs de recommandation que l’on retrouve dans la finance ou les plateformes de média sociaux. Ces dernières recourent massivement à l’IA car elles sont très consommatrices de systèmes de reconnaissance de formes.Qu’elles soient concrètes (images de produits commerciaux) ou abstraites (reconnaissance de tendances sous leur forme mathématique). Plus grand est le volume de données que traite l’algorithme d’apprentissage profond, plus grande sera sa performance. Et ce, d’autant que ces grandes plates-formes possèdent parmi les plus importants gisements de données.
Pour sa part, la PME va surtout utiliser l’IA que ses fournisseurs d’applications métier intègrent dans l’évolution de leurs produits. Certaines start-up vont loin dans cette démarche. Par exemple, elles simulent l’impact d’une décision RH sur la performance économique de l’entreprise. Bref, même si l’IA aide ainsi à mieux recruter les talents décisifs, c’est la décision managériale qui va réellement démarquer la PME de ses concurrents. Cependant, la prime à l’utilisateur pionnier sera de courte durée car l’innovation technologique se banalise à grande vitesse
Doit-on pour autant reporter aux calendes grecques la réflexion sur l’impact de l’IA dans le plan de développement de l’entreprise ? Certainement pas. Il y a fort à faire sur l’intégration des technologies à base d’IA afin d’accroître la productivité ou l’efficience des collaborateurs dans les domaines des RH, du marketing, de l’ingénierie, de la force de vente… En revanche, c’est pour bâtir un offre originale à base d’IA que l’exercice est à la fois plus difficile et plus différenciant. Et ici, la disponibilité des talents capables d’intégrer ces technologies constitue la principale la barrière à l’entrée. A cet égard, la France produit environ 250 docteurs en IA sur près de 9 000 thèses soutenues par an. Ce qui est très peu. Une majorité est absorbée par les GAFA/BATX qui offrent des conditions d’épanouissement professionnel qu’il est difficile de refuser… Ce qui assèche le marché pour les autres entreprises.
Que faire ? Dès lundi prochain, le chef d’entreprise pourra créer une cellule de réflexion qui va phosphorer sur ce que l’IA est susceptible d’apporter à ses métiers. L’idée n’étant pas de remplacer, à terme, les collaborateurs par un algorithme mais de trouver ce qui les rendra plus efficients. Notamment en les soulageant de tâches répétitives sans valeur ajoutée. Avec ce premier chantier, les équipes vont mettre le pied à l’étrier de l’IA… avant d’envisager l’élaboration d’une offre originale et disruptive. En effet, pour inventer un produit ou un service à base l’IA, il faudra non seulement convaincre les meilleurs talents de rejoindre l’entreprise mais surtout apprendre à travailler avec ces hauts potentiels capables d’une pensée très abstraite. Ce qui exigera de beaucoup dialoguer, sans avoir peur de remettre plusieurs fois l’ouvrage sur le métier. La tâche sera tout aussi ardue que fertilisante car elle permettra d’inscrire l’entreprise dans l’histoire qui va s’écrire lors de la prochaine décennie.
Par Francis Portogallo, conférencier en IA et RH
©Erick Haehnsen